À 99 ans, Madeleine Riffaud nous accueille dans son appartement parisien pour raconter son histoire. Elle a vécu mille vies : résistante, poète, correspondante de guerre et anticolonialiste. Sa mémoire intacte, elle tient à témoigner pour transmettre un message de paix aux futures générations. Pour nous, elle revient sur son incroyable parcours dans la Résistance parisienne de ses 16 à ses 20 ans.
Écoutez l’histoire de Madeleine Riffaud
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Pendant votre enfance et adolescence, comment avez-vous été sensibilisée aux questions politiques et sociales ?
Mon engagement trouve ses racines dans l'héritage de mes grands-parents et de mes parents. Mon grand-père, un ouvrier agricole d'une grande bonté, a refusé de fuir face à l'ennemi pendant la Première Guerre mondiale. Mon père, quant à lui, s'est engagé à l'âge de 18 ans dans ce même conflit. Il a été gravement blessé. En 1936, pendant la guerre d'Espagne, il a de nouveau souhaité s'engager, mais a été réformé à cause d'une blessure à la jambe.
Et puis, les années 30, c’est aussi l’essor du Front populaire en France et de ses réformes sociales : cela a clairement marqué ma jeunesse.
Je suis née et j’ai grandi dans la Somme, une terre profondément marquée par la Première Guerre mondiale, j'ai ensuite été témoin de l'exode de 1940. Notre famille a été mitraillée sur la route par des avions allemands. Miraculeusement, nous avons tous survécu. Déjà à l’époque, j’avais envie de me battre.
Mon histoire est celle d'une femme dont l'engagement et la prise de conscience politique ont été façonnés par l'exemple familial et par des expériences marquantes. Ces événements ont forgé mon caractère et m'ont poussée à m'engager pour les causes qui me tiennent à cœur.
Quel a été l’élément déclencheur de votre engagement dans la Résistance ?
En novembre 1940, à la gare d'Amiens, un officier allemand m’a violentée suite à mon refus d'avances de ses soldats. C’est un coup de pied au cul d’un nazi qui a fait que je me suis engagée. C’était l’humiliation de trop dans une France déjà humiliée.
Cet affront a été le catalyseur de mon engagement dans la Résistance. Mais à 16 ans, comment m'infiltrer dans ce mouvement clandestin ?
Il s’avère que je suis tombée malade en 1941. J’ai donc été envoyée pour six mois dans un sanatorium pour étudiants en Isère. Ce lieu abritait des résistants et des juifs munis de faux certificats médicaux. Il y avait même une imprimerie clandestine ! C'est là que j’ai fait la rencontre d’un autre patient, Marcel Gagliardi, dont le père était un ami de mon père. Marcel est devenu mon ami. Il était étudiant en médecine et résistant depuis 1940. Je l’ai supplié de me faire entrer dans la Résistance. Face à ses réticences, je lui ai dit en face : « Tu es comme mon père, vous voulez que tout le monde soit résistant, sauf votre fille ou votre petite copine. Vous êtes des égoïstes ! »
Finalement, à notre retour à Paris, on a fini par me confier ma première mission, celle pour faire mes preuves. Je devais transporter une clé de tirefond destinée à démonter les rails pour faire dérailler des trains. Je n’ai découvert la véritable nature de mon colis qu'après coup.
Quelles ont été vos actions les plus marquantes pendant la guerre ?
Au fil des combats et des pertes, j'ai rapidement gravi les échelons de la Résistance pour rejoindre les Francs-tireurs et Partisans (FTP). Le débarquement en Normandie avait sonné l'heure de l'intensification des actions pour soulever Paris. Un geste fort et symbolique était nécessaire : abattre un officier nazi en public. Mais mes hommes avaient déjà subi de lourdes pertes. Il fallait agir. C’était la mission. Je me suis résolue à l'exécuter moi-même, le moral lourd.
Par un beau dimanche d'août, le 23 juillet 1944, alors que les Parisiens profitaient du soleil, je suis montée à vélo et j’ai roulé au hasard. Le long de la Seine, en passant devant le pont de Solférino, j'ai aperçu un sous-officier allemand isolé. Déterminée à ne pas tirer dans le dos, j'ai attendu qu'il se retourne. Deux balles dans la tête, il s'est effondré, mort sur le coup.
J’y pense encore aujourd’hui : tuer un homme, ça vous hante à vie.
Que s’est-il passé après cet évènement ?
Tout semblait s'être déroulé sans accroc. Mais alors que je remontais sur mon vélo, une voiture à essence – symbole de mort, car seuls les nazis et les collaborateurs en possédaient – m'a percutée. Au volant se trouvait le chef de la milice de Versailles. Avec la prime de 10 000 francs promise pour la capture de « terroristes », il m'a directement conduite à la Gestapo, rue des Saussaies. Là, l'enfer m'attendait : la chambre des tortures.
Je n’ai pas envie d’en parler. Ça a été trois semaines difficiles… Mais, je n’ai rien lâché comme information.
L'arrivée d'un officier allemand m'annonçant ma condamnation n’a suscité en moi aucune surprise. Je devais être fusillée le 5 août 1944. J'ai même remercié cet homme qui scellait mon destin. La mort me délivrerait enfin de la torture et de l'horreur.
Je me trouvais dans ma cellule, calme et sereine, rédigeant un poème en guise de lettre d'adieu. La souffrance était intolérable, et je n'aspirais qu'à une chose : la fin. Mourir à Paris, plutôt que d'être déportée, était mon seul souhait.
Alors que je m'apprêtais à affronter mon exécution, un nouvel événement a bouleversé le cours de mon destin. On m'a emmenée pour une confrontation avec un traître, le propriétaire du pistolet que j'avais utilisé. Cela m’a sauvée de la fusillade.
Mais l'épreuve n'est pas terminée. Dix jours de torture m'attendent à la prison de Fresnes, avant d'être entassée avec d'autres prisonniers dans un train pour Ravensbrück – pour la mort.
Pourtant, vous avez survécu…
Oui, j’ai encore échappé à la mort. C’est une femme du nom d’Anne-Marie qui m’a sauvé la vie en me faisant sauter du train avec elle.
Deux SS nous ont vues et nous ont interceptées. Alors que j’étais sans espoir, Anne-Marie m’a dit : « Tu apprendras qu’un jour est un jour ». Je m’en suis rappelé et elle a eu raison : c'est par l'intervention du consul de Suède, Raoul Nordling, désireux de sauver Anne-Marie, que nous avons bénéficié d'un échange de prisonniers. C’est comme ça que j’ai découvert qu’Anne-Marie était une femme de l’Intelligence Service.
Le 19 août 1944, nous sommes toutes les deux libérées. En même temps, on entend les premiers coups de feu de l'insurrection. C’est le début de la libération de Paris.
Avez-vous participé à la libération de Paris ?
En effet. À la tête d'un petit détachement composé de quatre hommes, en me comptant, j'ai reçu une mission urgente au dernier moment : intercepter un train allemand aux Buttes-Chaumont. Mon supérieur m'a laconiquement lancé « Démerdez-vous ! ». Avec mes hommes, nous avons dû improviser pour cette mission in extremis.
Depuis une passerelle surplombant le tunnel où le train était bloqué, nous avons lancé les trois paquets d'explosifs en notre possession neutralisant ainsi les occupants. C’est comme ça que nous avons capturé 80 soldats de la Wehrmacht et récupéré leurs armes. Et, qu’avons-nous retrouvé dans les caisses ? Du champagne et du foie gras qu’ils allaient exporter en Allemagne ! Autant dire que nous avons festoyé ce jour-là.
Je me suis alors rendu compte que c'était mon anniversaire : le 23 août, j'avais 20 ans.
La grande majorité de l’Europe était encore sous le joug nazi. La libération de Paris en août 1944 a été une véritable message d’espoir pour tous les Européens.
Finalement, quel rôle ont joué les femmes dans la Résistance ?
Très important. Elles étaient en première ligne dès le début et représentaient une véritable force vive de la Résistance. Les hommes manquaient car ils étaient prisonniers en Allemagne, ou morts. Les femmes avaient donc tout sur le dos. Et elles ont résisté de multiples manières : en dirigeant des réseaux, en hébergeant des clandestins, en préparant des engins explosifs ou évasions, ou encore en transmettant des informations primordiales.
Un engagement de tous les instantspour défendre la France, alors que le droit de vote ne nous a été octroyé qu’en 1944.
Quel est votre message pour les futures générations ?
Je veux transmettre un message de paix et de fraternité, et non celui de la guerre. Je n’ai jamais confondu le peuple allemand avec les SS. Il faut faire attention aux amalgames et toujours se battre pour la paix.
Découvrez la série de BD : « Madeleine, Résistante »
« Madeleine, Résistante » est une série française de bande dessinée scénarisée par Jean-David Morvan et Madeleine Riffaud et dessinée par Dominique Bertail. Elle retrace la vie de Madeleine Riffaud.