Discours de Mme Élisabeth BORNE, Première ministre - Débat sur la politique d’immigration

Ce contenu a été publié sous le gouvernement de la Première ministre, Élisabeth Borne.

Publié le 06/12/2022

(article 50-1 de la Constitution)

Assemblée nationale
Mardi 6 décembre 2022

Seul le prononcé fait foi

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les députés, Le sujet dont nous nous apprêtons à débattre est essentiel.

Il est l’objet d’interrogations, de discussions – et parfois de passions. Parler d’immigration, c’est parler de trajectoires personnelles ou familiales. C’est parler de nos valeurs, de notre droit et de notre Histoire.

Notre pays a toujours accueilli et intégré, toujours délivré des titres de séjour, avec des périodes d’arrivées parfois plus marquées, parfois moins soutenues.

La France est et restera fidèle à sa tradition d’asile, mais il est légitime de se poser la question de notre politique migratoire : dire qui on veut, qui on peut accueillir, et qui on ne veut pas, qui on ne peut pas accueillir. Débattre d’immigration, ce n’est pas se limiter à un sujet.

La question renvoie aux causes profondes des mouvements migratoires, à l’efficacité des politiques de développement pour lutter contre la pauvreté ou les conséquences du changement climatique, et à l’indispensable coopération avec les pays d’origine et de transit.

Elle est liée à nos frontières et à la manière dont nous devons les faire respecter. Elle interroge l’efficacité de nos procédures juridiques et de notre droit.

Elle soulève la question centrale de l’intégration. Dans quelques semaines, le Gouvernement présentera un texte sur notre politique migratoire. Les ministres reviendront dans un instant sur ses principes directeurs. Pour construire ce projet de loi, plusieurs ministres sont, en effet, mobilisés et une large concertation est en cours.

Je l’avais annoncée dès cet été. Le ministre de l’Intérieur la conduit avec l’appui de la secrétaire d’État à la Citoyenneté. Le ministre du Travail s’y est également engagé, pour discuter des mesures concernant son champ. Nous voulons que le futur texte prolonge les améliorations de la loi asile-immigration, votée lors du premier quinquennat. Nous voulons qu’il adapte notre droit aux évolutions et défis actuels de la question migratoire.

En un mot : nous visons l’efficacité, les mesures utiles et les effets concrets. Nous ne cherchons pas à cliver ou à multiplier des mesures uniquement symboliques.

Ce texte sera équilibré.

Nous restons fidèles à nos valeurs et à notre volonté d’intégrer.

Mais on ne peut intégrer dignement, que si notre droit est respecté fermement. Il me paraissait donc important, essentiel même, avant la finalisation du projet de loi, et comme je m’y étais engagée, de venir devant la représentation nationale, pour vous présenter des faits, des orientations, et pour en débattre.

Présenter des faits d’abord, parce que ce débat ne peut se reposer sur des impressions ou des peurs. Je le dis d’emblée : l’immigration zéro n’est ni souhaitable, ni possible, pas plus réaliste que ne l’est une immigration dérégulée. Ces promesses illusoires sont mensongères, démagogiques, et dangereuses. Particulièrement à l’extrême droite, ces douze derniers mois, ont été foisonnants en contre-vérités et en propos indignes.

La fermeté, ce n’est pas la haine de l’autre. Le respect de nos frontières, ce n’est pas le repli. Et l’intégration pleine et entière de ceux que nous accueillons, c’est le devoir de notre pays. Nous aurons des désaccords, c’est la démocratie, mais ces désaccords doivent émerger sur la base de faits.

 *

Alors Mesdames et Messieurs les députés, Commençons par là. Commençons par les faits.

D’abord, oui, il existe une immigration légale. Je le dis, car à entendre certains, on l’oublierait.

Cette immigration légale, ce sont des salariés qualifiés, ou encore les personnes que les Françaises et Français ont choisi d’épouser. J’entends souvent dire que le nombre de titres délivrés a progressé. C’est juste. La tendance ne date pas d’hier, et elle s’est vérifiée sous des majorités de gauche comme de droite.

Ainsi, en 15 ans, le nombre de titres de séjour délivrés est passé, de façon progressive, de 172 000 en 2007 à 271 000 en 2021. Mais ne nous trompons pas sur les causes de cette augmentation. Contrairement aux caricatures, l’immigration familiale a baissé sur cette période. S’il y a eu une augmentation, c’est pour trois raisons. D’abord, parce que notre enseignement supérieur est attractif et que, depuis 2017, le nombre d’étudiants que nous accueillons a doublé.

C’est une bonne nouvelle.

Ces étudiants apprennent à parler français, à connaître notre pays et le font rayonner dans le monde.

Deuxième raison de cette hausse : le nombre de salariés qualifiés et de chercheurs que nous accueillons a augmenté en 15 ans. Et cela a bénéficié à notre économie, à nos entreprises et à notre innovation. Enfin, dernière raison de cette hausse : l’augmentation modérée du nombre de bénéficiaires de l’asile. Ce sont 30 000 personnes, menacées dans leur pays, que nous accueillons chaque année. C’est l’honneur de la France de leur donner leur place. C’est l’honneur de notre pays d’avoir accueilli 3 000 ressortissants afghans, juste après la chute de Kaboul l’an dernier.

C’est l’honneur de la France d’avoir accueilli 108 000 ukrainiens depuis le 24 février dernier, sous le statut de protection temporaire. Au nom du Gouvernement, je tiens à remercier l’OFPRA, les élus locaux, les associations, et les employeurs qui les accompagnent au quotidien. Bien sûr, nous devons donner à toutes les personnes arrivées légalement, les moyens d’une intégration digne et complète.

Certaines difficultés existent encore, notamment en termes d’insertion professionnelle. J’y reviendrai. Je veux enfin tordre le cou à une dernière idée reçue : non, l’aide médicale d’État ne nourrit pas l’immigration irrégulière.

C’est une question de protection et de santé publique. Aucun projet migratoire vers la France n’est seulement motivé par l’existence de ce dispositif, dont les conditions d’accès et les modalités de contrôles ont été renforcées récemment. Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, quels sont les faits concernant l’immigration légale.

Mais le principal enjeu, ça n’est pas tant la situation de ceux à qui nous avons délivré un titre, que celle des personnes qui se maintiennent sur notre territoire sans y avoir droit. Ces personnes ne sont pas éligibles à l’asile. Il leur a souvent été explicitement refusé. Pourtant le flux de demandes augmente nettement ces dernières années.

Et celles et ceux à qui nous n’accordons pas la protection restent encore trop fréquemment sur notre territoire. Souvent victimes de passeurs qui leur promettent un Eldorado et mettent en danger leurs vies, la plupart d’entre eux vivent dans la grande précarité, sans disposer du droit à travailler, et parfois, sombrent dans la délinquance.

Face à ce défi, les amateurs de solutions toutes faites sont nombreux. On trouve les partisans du « y a qu’à faut qu’on », qui voudraient renvoyer d’un coup d’un seul, l’intégralité d’entre eux.

 Oui, je souhaite que le droit et nos frontières soient respectés. Oui, je souhaite des éloignements rapides et efficaces des personnes en situation irrégulière. Mais non, on ne peut pas prétendre que les choses soient si simples, comme si nous pouvions nous affranchir de l’indispensable coopération des pays d’origine et des règles de l’État de droit.

De l’autre côté, certains appellent à des opérations de régularisation massive. Je le dis aussi clairement : il n’en est pas question. Nous ne créerons pas de tel précédent, qui ne règlerait pas les difficultés des personnes concernées, qui donnerait des arguments aux passeurs, et qui ne serait ni accepté ni acceptable par les Français.

Pour notre part, nous voulons prendre le sujet à bras le corps et proposer des solutions utiles et efficaces. Je crois que nous pouvons nous retrouver sur une préoccupation commune : éviter que des étrangers restent durablement dans une situation indéterminée, qui ne serait ni le droit au séjour, ni l’éloignement. Aussi, nous voulons clarifier beaucoup plus vite la situation des étrangers arrivés sur notre sol.

D’une part, nous voulons accélérer les procédures d’examen des demandes d’asile et du droit au séjour pour lutter contre les pratiques dilatoires. Et, d’autre part, une fois la situation clarifiée, nous souhaitons éloigner plus rapidement ceux qui doivent l’être. Quant aux personnes qui ont vocation à rester, nous voulons engager plus tôt les actions pour réussir leur intégration, d’abord par la langue et par l’emploi.

Ces principes sont les grands axes de travail du Gouvernement. Ce sont des objectifs qui, je le crois, peuvent rassembler largement sur ces bancs.

*

Mesdames et Messieurs les députés, Comme l’a dit le Président de la République, nous devons déployer une action complète, cohérente et efficace, en amont des flux migratoires et après l’arrivée sur notre territoire. Nous voulons d’abord prévenir les départs irréguliers, en contribuant, grâce à notre aide publique au développement, à traiter les causes profondes des migrations que sont la pauvreté et, de plus en plus, les effets du dérèglement climatique.

La ministre de l’Europe et des Affaires étrangères y reviendra.

Ensuite, nous devons mieux protéger nos frontières. Pour y parvenir, notre premier levier d’action est européen. Pendant la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, nous sommes parvenus à plusieurs avancées autour du pacte sur la migration et l’asile : - en particulier pour rendre plus efficaces les contrôles à l’arrivée en Europe ; - et pour renforcer le mécanisme de solidarité pour les États de première entrée, pourvu que ces États respectent le droit maritime. Nous devrons notamment tirer toutes les conséquences de l’accueil de l’Ocean Viking.

Nous devons maintenant continuer. Nous poussons pour un renforcement des moyens de Frontex et pour une réforme de l’espace Schengen. Nous voulons également consolider le système d’asile européen. C’est aussi à l’échelle européenne, que nous lutterons plus efficacement contre les réseaux de passeurs.

Le ministre de l’Intérieur, Gérald DARMANIN, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine COLONNA ; et la secrétaire d’Etat en charge de l’Europe, Laurence BOONE, sont pleinement mobilisés en ce sens. Le deuxième moyen d’action, c’est au niveau national en renforçant le contrôle à nos frontières et en accélérant les procédures. En novembre 2020, le Président de la République a annoncé le doublement des effectifs à nos frontières.

Et une nouvelle fois, les résultats sont là : 10 000 refus par mois ont été prononcés en 2021, contre 3 000 début 2020, avant le Covid. Ensuite, nous devons accélérer les procédures d’examen des demandes d’asile. Dans ce domaine, des progrès ont été réalisés dans le précédent quinquennat. Les délais de l’OFPRA ont considérablement diminué mais ceux des procédures contentieuses sont encore trop longs. Au total, le délai moyen de traitement d’une demande d’asile est encore de l’ordre d’un an. Nous devons donc accélérer et viser un délai global de 6 mois pour l’ensemble de la procédure.

Nous voulons notamment réformer le contentieux des étrangers. Pour le réduire et le simplifier, nous voulons passer de 12 procédures contentieuses à 4, suivant en cela les recommandations du Conseil d’État et du rapport du président de la commission des lois du Sénat, François-Noël BUFFET. Le ministre de l’Intérieur y reviendra et travaille également avec le ministre de la Justice, Éric DUPOND-MORETTI à une réforme de la Cour nationale du droit d’asile.

Enfin, nous voulons éloigner plus systématiquement et plus efficacement les personnes déboutées du droit d’asile. Nous devons augmenter nos capacités en centres de rétention administrative. Et, nous continuerons à agir dans nos relations bilatérales avec les pays qui refusent de réadmettre leurs propres ressortissants.

Par ailleurs, nous devons être intraitables avec les étrangers délinquants, même en situation régulière. S’engager dans la délinquance, c’est se placer en dehors de notre communauté nationale. C’est porter une grave atteinte à notre pacte social et à nos compatriotes. C’est également nuire à tous les étrangers qui vivent en France et qui construisent paisiblement des parcours d’intégration réussis, dont on ne parle pas. Grâce à l’action déterminée du ministre de l’Intérieur et des préfets, plus de 3 000 étrangers auteurs de troubles à l’ordre public ont été éloignés en 2021 et 2022.

Enfin, sous le contrôle du juge et dans le respect de nos engagements conventionnels, des mesures d’expulsion doivent désormais pouvoir être prises contre les étrangers, quelle que soit leur situation, qui commettent des infractions graves. * Mesdames et Messieurs les députés, Je le disais, nous portons une vision équilibrée. Si nous voulons que ceux qui ne doivent pas rester partent, c’est aussi pour pouvoir mieux intégrer ceux que nous accueillons.

Cela passe d’abord par une refonte en profondeur de l’accueil en préfecture pour les démarches de renouvellement des titres des étrangers en situation régulière. Nous devons éviter les pertes de droits, notamment d’emploi, que peuvent connaître certaines personnes faute d’accès au guichet.

Pour les demandeurs d’asile, nous devons aussi continuer à renforcer nos capacités d’hébergement. En cinq ans, nous les avons déjà augmentées de plus de 36 000 places. Enfin, le pivot de notre politique d’intégration, c’est le travail. Dans un pays dont le taux de chômage est de 7,3%, nous devons d’abord chercher à pourvoir les postes vacants en proposant ces emplois à nos ressortissants et aux personnes en situation régulière. Le taux d’emploi des immigrés en France est neuf points plus faible que celui de l’ensemble de la population. Nous devons travailler à réduire cet écart. Ensuite, si les employeurs ne sont pas parvenus à trouver la main d’œuvre dont ils ont besoin, ils peuvent la faire venir de manière légale. Un employeur peut toujours solliciter une autorisation de travail, s’il démontre qu’il n’a pas pu pourvoir le poste en déposant une offre auprès de Pôle Emploi.

Pour certains métiers, particulièrement en tension, l’employeur est même dispensé de cette justification. Nous avons simplifié ces dispositifs en 2019 pour mieux répondre aux besoins. Enfin, la question de la régularisation peut se poser pour des personnes en situation irrégulière, présentes sur notre sol depuis des années, et qui travaillent depuis longtemps. Et avant que l’extrême droite ne tente une nouvelle manipulation, je le redis : Il ne s’agit en aucun cas d’une régularisation massive, ni de laisser penser que la régularisation serait la réponse aux tensions sur le marché du travail. Il s’agit de régulariser certaines personnes, qui contribuent depuis longtemps à la richesse nationale, mais qui subissent parfois des conditions de travail indignes et restent enfermés dans un statut précaire.

Le ministre du Travail, Olivier DUSSOPT, y reviendra plus en détail.

 Enfin, Mesdames et Messieurs les députés, s’intégrer, c’est parler la langue de la République. Alors, que nous proposons des cours de langue dès l’arrivée sur le territoire, nous souhaitons qu’un niveau minimal de Français soit désormais imposé pour obtenir des titres de séjour de plus d’un an.

*

Mesdames et Messieurs les députés,
Chercher des mesures efficaces, vouloir une immigration régulée, maîtrisée, ce n’est ni manquer de fermeté ni manquer d’humanité. C’est l’expression de notre volonté de voir nos frontières et notre droit respectés.

C’est l’intransigeance face à ceux qui se placent en dehors des lois de la République. Mais c’est aussi la fidélité à nos valeurs et à notre Histoire.

C’est accueillir et intégrer celles et ceux qui sont menacés ou victimes de persécution, ou encore celles et ceux qui contribuent au rayonnement et à la vitalité économique de notre pays.

Cet équilibre s’accommode mal des postures politiciennes.

Il demande du travail et des réflexions, sérieuses et de bonne foi. Il demande des discussions fondées sur les faits et non pas sur les peurs. Il demande la recherche de solutions efficaces, au-delà des dogmes et des idéologies.

Cet équilibre, c’est la condition pour creuser le sillon de notre Histoire, et atteindre l’objectif que nous recherchons tous : l’intégration de celles et ceux que nous accueillons. Si nous acceptons ces principes, je suis certaine que nous pourrons trouver cet équilibre.

Soyons à la hauteur de l’enjeu.

Je vous remercie.

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