Présentation du projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 21/03/2020

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre

Présentation du Projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie

de Covid-19

Assemblée nationale

Le 21 mars 2020

Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et messieurs les députés,
Le président de la République l’a dit, nous faisons face à la crise sanitaire la plus sérieuse depuis un siècle.
Cette crise, exceptionnelle par sa nature et par son ampleur, appelle une mobilisation exceptionnelle et des moyens exceptionnels : on compte plus de 240 000 cas et plus de 10 000 morts dans 160 pays. Et la France, elle-même durement frappée, lui paie un lourd tribut : 11 000 personnes contaminées recensées, et plus de 372 décès.
Sur tous les continents, s’installe un sentiment d’urgence et parfois de panique. Des hantises qu’on croyait disparues en Europe, vaincues par les progrès de la science, réapparaissent : celle d’être soi-même victime, celle de perdre un ou plusieurs proches, avant l’heure.
A cette angoisse, ancrée au plus intime de chacun, s’ajoute un ensemble d’inquiétudes très concrètes. Vais-je perdre mon travail, ou une partie non négligeable de mes revenus ? Comment mon entreprise peut-elle survivre à la catastrophe ? Comment garder mes enfants, comment les protéger aujourd’hui et les nourrir demain, quand la crise sanitaire aura montré ses effets les plus pernicieux ? Comment assurer la survie de notre tissu social, culturel, industriel, commercial? C’est aussi un état d’urgence économique et sociale.
A cette crise sanitaire et économique, française, européenne et internationale, nous devons opposer toute la puissance, toute la constance de notre intelligence collective en mobilisant nos ressources politiques et morales face au danger : c’est la solidarité qui nous réunit quand nous sommes confrontés à une épreuve historique, c’est la combativité des hommes et des femmes qui sont prêts à se discipliner et à se dépasser quand les circonstances l’imposent.
C’est l’intelligence des médecins, des soignants, des chercheurs, des laboratoires, qui nous apportera la solution ultime, ces traitements et ces vaccins – déjà des essais prometteurs font naître un timide espoir et nous autorisons bien sûr les procédures accélérées vu l’urgence.
Nos soignants se battent en première ligne dans nos hôpitaux et cliniques, publics et privés, sans ménager leurs efforts et durs à la peine. Nous leur sommes redevables. A eux et à tous ceux qui, routiers, caissières et vendeuses, artisans, ouvriers, paysans, membres des forces de l’ordre, continuent à travailler au contact méritent notre respect. Ils nous sont indispensables car c’est par leurs efforts que le pays continue à vivre, à s’alimenter. Et je le dis clairement : nous avons absolument besoin que toutes ces chaines d’approvisionnement continuent à fonctionner sans quoi nous ferions face à des difficultés plus graves encore.
Battons-nous, nous aussi, surmontons nos divisions dans un esprit républicain pour être à la hauteur de la responsabilité que nous ont confiée les Français. La vie et l’histoire ont décidé que c’était à nous qu’il revenait d’affronter cette épreuve. Faisons-le avec le calme, la détermination, le sang-froid et l’esprit d’unité qu’exigent les grandes épreuves nationales. J’ai pour ma part confiance : nous saurons la surmonter grâce à la force d’âme des Français, à l’excellence de notre système de santé et à la solidité de notre Etat.
Je le disais jeudi au Sénat. Depuis le premier jour, notre stratégie tient en deux mots : Faire Face. En donnant la priorité absolue aux considérations de santé publique et en fondant nos décisions sur les avis donnés, en toute transparence, par les experts scientifiques que nous consultons. Les efforts considérables que nous demandons à nos concitoyens, nous les leur demandons au moment et dans les conditions que préconise notre conseil scientifique. Ni trop tôt, ni trop tard. Mais j’ai parfaitement conscience, Mesdames et Messieurs les députés, que définir le moment opportun - ni trop tôt ni trop tard - pour que chaque mesure puisse être efficace, est à la fois une priorité absolue et une difficulté redoutable.
Les mesures exceptionnelles, nous les avons prises collectivement et en conscience. Le rapatriement et l’isolement de nos compatriotes ayant séjourné en Chine, dès janvier. Les premiers confinements, dans les Alpes et dans l’Oise, pour éviter la propagation du virus sur notre territoire national, dès que les cas ont été détectés dans ces territoires.
Jeudi dernier, nous avons décidé la fermeture des crèches, des écoles et des universités. Celle des commerces non-indispensables à la vie de la Nation a suivi, de manière inéluctable. Le confinement, ensuite, a été jugé indispensable pour contrer une progression dont le rythme devenait exponentiel, comme partout dans d’autres pays.
Les médecins nous indiquent que si le COVID-19 est bénin pour 80 à 90% de ceux qui sont infectés, 5% des contaminés risquent d’être placés en réanimation et qu’il peut être mortel pour 1% d’entre eux. La proportion paraît faible mais le nombre absolu est considérable compte tenu de l’ampleur des populations touchées et de la gravité particulière pour les personnes âgées ou celles qui souffrent d’autres affections.
Notre stratégie, face à cette progression, consiste donc à ralentir autant que faire se peut la progression du virus pour écraser le pic des contaminations, diminuer le nombre de malades en grande difficulté nécessitant d’être placés en service de réanimation. Ces services sont mis à rude épreuve dans le Grand Est et en Île-de-France. En Corse également.
Mais cette stratégie nous a donné le temps d’augmenter le nombre de lits disponibles en services de réanimation : nous sommes passés progressivement de 5000 à 7900 places sur l’ensemble du territoire et dans les services de soins intensifs. En dépit de l’augmentation du nombre de malades, nous disposons encore de 4000 lits de soins critiques, au lieu des 1300 que nous avions au début de l’épidémie. Des tensions locales apparaissent et dans certains cas, elles vont se renforcer. Nous mettrons alors en œuvre des moyens de transfert des patients vers d’autres établissements capables de les prendre en charge, y compris s’il le faut, comme nous l’avons fait déjà pour Mulhouse, en ayant recours à des moyens militaires médicalisés.
Cette stratégie s’est aussi déployée sur le sujet des masques et des gels hydro-alcooliques.
S’agissant des masques, dès le mois de février, les quatre principaux fabricants français de masques utilisés par le monde de la santé ont été sollicités pour accroître fortement leurs cadences de production. Accroître fortement sa cadence de production n’est pas un exercice simple. On aimerait, compte tenu de l’urgence, que cela puisse se déclencher immédiatement et qu’immédiatement l’augmentation des cadences de production puisse se faire sentir. Mais la vérité impose de reconnaître que ces exercices prennent parfois plus de temps que ce que nous aimerions.
Le 3 mars, pour éviter les phénomènes spéculatifs et permettre à l’Etat de prioriser les besoins, j’ai signé un décret de réquisition des stocks et des capacités productives de masques anti-projections et de FFP2. Les quatre principaux fabricants sont depuis en contact permanent avec Santé publique France et totalement mobilisés pour pousser au maximum leurs capacités productives. Le Gouvernement accompagne ces entreprises pour leur permettre de lever tous les obstacles réglementaires ou d’approvisionnement et d’augmenter leurs capacités de production.
Un déstockage d’environ 25 millions de masques a été opéré début mars. Grâce aux réquisitions, malgré ce déstockage, le stock a pu être maintenu à 105 millions de masques au 16 mars.
Cette semaine du 16 mars, 29 millions de masques sont distribués aux professionnels (en ville et à l’hôpital : 17 millions pour les établissements, 12 millions pour les professionnels de ville).
Nous avons par ailleurs mis en place une équipe d’approvisionnement à l’international, qui a identifié partout dans le monde des masques disponibles et nous faisons sur cette base l’acquisition de centaines de millions de masques.
Nous avons aussi demandé au ministère de l’économie et au ministère des Armées de trouver des alternatives, soit pour démultiplier les chaines de production, soit pour qualifier des alternatives, jetables ou réutilisables. Les ministères ont qualifié des bancs de tests, mis à disposition des industriels des spécifications, et 40 prototypes sont en cours de tests, pour des masques chirurgicaux comme pour des FFP2.
Mesdames et Messieurs les députés, sur cette question des masques, le ministre des Solidarités et de la Santé fera une présentation complète - aujourd’hui à 15h - pour expliquer l’évolution des stocks et les réponses nationales qui ont été mises en œuvre.
S’agissant des gels hydro-alcooliques, nous avons là encore agit très rapidement. Dès le début du mois de mars, nous avons mis en place un contrôle des prix et autorisé en parallèle les pharmaciens à produire ce gel. Et nous avons engagé avec les producteurs et les distributeurs une démarche de structuration du marché pour augmenter les capacités et assurer la mise à disposition des produits.
Les mesures que nous avons prises, depuis le rapatriement jusqu’au confinement de notre population entière, le passage progressif dans les différents stades de gestion de l’épidémie, nous les avons prises au moment précis où les médecins qualifiés pour émettre des recommandations nous ont conseillé de le faire. La décision est politique. C’est la nôtre. Il ne s’agit pas de demander aux scientifiques de prendre des décisions qui ne relèvent pas de leurs responsabilités. Leurs responsabilités sont éminentes et non accessoires, mais la décision politique relève du pouvoir politique. Mais si la décision est politique, elle est éclairée par des experts, réunis en l’espèce dans le conseil scientifique que le Gouvernement a placé à ses côtés.
Maintenant qu’elles sont prises, nous veillons avec la plus grande fermeté à ce qu’elles soient respectées, notamment par un système d’amendes renforcé. S’il fallait aller encore plus loin, ou mettre en œuvre des moyens supplémentaires pour qu’elles produisent tous leurs effets, nous le ferions. Je souhaite réitérer un message de grande fermeté. L’acte de responsabilité citoyenne qui est attendu de chacun d’entre nous pour se protéger, pour protéger les autres, pour aider au freinage puis à l’élimination de l’épidémie, c’est de respecter strictement et rigoureusement les règles du confinement et, au travail comme dans la vie courante, de s’astreindre aux mesures-barrière qui nous sont recommandés. Je le dis solennellement : le confinement doit être maximal dans notre vie sociale pour briser l’avancée du virus.
La vie économique, pour sa part, doit se poursuivre autant qu’il est possible pour assurer les fonctions essentielles de la Nation et la vie quotidienne des Français. Elle peut et doit s’organiser en respectant les consignes de sécurité sanitaire par accord au sein même des entreprises, par la vigilance et le patriotisme de tous. Je remercie une nouvelle fois, en notre nom à tous, les travailleurs, les entreprises et les institutions publiques qui s’escriment à poursuivre leur activité et trouvent, avec ingéniosité et sens du dialogue social, les moyens de remplir leur mission sans mettre en danger ni leur santé, ni celle des autres.
Je souhaite aussi évoquer les situations spécifiques de nos Outre-mer où les mesures de confinement se mettent en place également, plus rapidement aussi parce qu’il nous faut, Outre-mer comme dans l’Hexagone, préserver nos capacités de traitement et de soin. Nous y mettons en place des mesures adaptées pour contenir le virus : je pense aux mesures sur les croisières ou encore à la quatorzaine stricte pour les personnes qui arrivent dans les territoires. A nos compatriotes d’Outre-mer, aux entreprises d’Outre-mer, au secteur du tourisme notamment, je veux dire clairement que la solidarité nationale s’applique et s’appliquera pleinement, dans le cadre bien sûr des compétences des collectivités d’Outre-mer. Je veux aussi assurer que nous veillons à maintenir la continuité des transports entre l’Hexagone et nos Outre-mer, mais dans des conditions très strictes car nous savons que la circulation trop rapide du virus sur ces territoires aurait des impacts importants.
Je sais pouvoir compter sur les Françaises et les Français, sur l’ensemble des corps intermédiaires, sur nos institutions, pour opposer une chaîne de responsabilité à la propagation du virus. Le Parlement assure quant à lui la continuité de notre vie démocratique. Je vous en remercie tout particulièrement en cette période où vous avez été frappés, parmi les premiers. Je présente à celles et ceux qui sont malades, députés, fonctionnaires, collaborateurs, mes vœux de prompt et complet rétablissement.
Hier, vous avez voté à l’unanimité la loi de finances rectificative qui apporte à notre économie tout le soutien financier nécessaire : garantie de crédits, crédits budgétaires nouveaux. Aujourd’hui, après le vote du Sénat, vous est soumise une loi d’urgence.
Toutes ses dispositions visent quatre objectifs : protéger notre population, sauver notre économie, adapter provisoirement nos règles de droit aux bouleversements que nous connaissons dans nos relations économiques, sociales ou administratives, et, enfin, organiser le report du second tour des élections municipales prévues ce dimanche.
La première série de dispositions de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19 concerne le report du second tour des élections municipales.
Je souhaite y revenir. Les décisions de maintien du premier tour puis de report du second tour s’inscrivent rigoureusement dans la logique de la réponse de santé publique que je vous exposais.
Ni l’une ni l’autre n’ont été prises à la légère. Bien au contraire, car il fallait peser attentivement les pour et les contre du maintien ou du report d’un scrutin démocratique fondamental pour la vie quotidienne des Français en période de montée de l’épidémie. Vous toutes et tous qui procédez du suffrage universel, vous le savez. C’est de lui et de lui seul que nous tenons notre légitimité démocratique et refuser de tenir des élections à l’échéance est un acte lourd qui ne peut se décider qu’en cas de force majeure et avec le consensus des forces démocratiques.
Dès le mois de février, lorsque j’ai réuni les groupes politiques pour les informer précisément de la situation sanitaire, la question du maintien du scrutin municipal a été évoquée. A l’époque et sur l’avis unanime des responsables scientifiques, nous avons considéré que ce scrutin pouvait et devait être maintenu. A partir de ce moment, nous avons systématiquement interrogé les spécialistes sur les conditions sanitaires d’une organisation sûre. Leur réponse a été de recommander la sensibilisation de nos concitoyens, et de tous ceux qui allaient procéder aux opérations de vote, à ces consignes de sécurité et mesures barrières grâce auxquels les contaminations étaient évitées. Il n’y avait donc à leurs yeux pas de risque plus élevé à voter qu’à procéder à des autres actes courants de la vie quotidienne comme les courses ou l’usage des transports en commun.
Jeudi dernier, avant le premier tour, alors que nous décidions des premières mesures lourdes de confinement, le report a de nouveau été évoqué. Le Gouvernement a instruit cette question. Pouvions-nous décider, jeudi, de reporter le premier tour des élections municipales ? Beaucoup de ceux qui ont été interrogés, consultés - parfois informellement c’est vrai -, nous ont dit que sur la base des informations dont ils disposaient, ils considéraient que les opérations électorales, pour autant qu’elles soient bien organisées, que les consignes de sécurité soient bien respectées et bien mises en œuvre, pouvaient se tenir. Et le conseil scientifique a confirmé son analyse précédente.
Samedi enfin, à la veille du vote, nous resserrions encore les mesures de confinement. Nous consultions à nouveau les experts. Ils confirmaient leur recommandation.
Qu’aurait-on dit si, par un décret pris nuitamment, la veille d’une élection, nous avions annulé le scrutin alors que les Français, le lendemain, se promenaient dans les parcs, dans les jardins, sans avoir pleinement mesuré les contraintes nouvelles ? Il n’est pas impossible que certains auraient pu à crier, à ce moment-là, au coup de force. Et imaginez qu’alors que certains, pas tous sans doute, mais certains criaient au coup de force, nous ayons dû, comme cela a été le cas, procéder au confinement général – qui peut nier ici qu’en plus de la crise sanitaire, c’est une crise politique qui aurait éclaté !
Le scrutin s’est, au plan technique et sanitaire, bien déroulé et j’en remercie les responsables. Les maires qui ont organisé les élections, les services municipaux qui les ont accompagnés, les candidats ainsi que l’ensemble de nos concitoyens. Pour avoir parcouru un certain nombre de bureaux de vote, comme d’autres dans cet hémicycle, j’ai vu l’extrême conscience civique déployée par ceux qui organisaient les bureaux de vote. Et le calme dans lequel nos concitoyens se rendaient aux urnes, respectant autant qu’il leur était possible et souvent très strictement, les consignes qui leur avaient été transmises. Mais la forte abstention a montré que dimanche, l’inquiétude avait saisi un grand nombre de Français. De surcroît, l’épidémie s’est brutalement accélérée à ce moment précis et nous avons atteint alors le début de ce pic que j’évoquais tout à l’heure.
Lundi, nous avons donc décidé, après une nouvelle consultation des forces politiques, le report du second tour, que recommandaient les experts du conseil scientifique.
Voilà pourquoi le titre Ier du projet de loi organise le report du second tour des élections municipales dans les 5000 communes, secteurs et circonscriptions métropolitaines où le 1er tour n’a pas permis d’élire l’ensemble de l’organe délibérant. C’est utile d’en avoir conscience : sur les 35000 communes qui composent la France, les résultats ont été acquis au premier tour dans près de 30143 communes. Ce qui est considérable.
Dans toutes les communes où le premier tour n’a pas permis d’élire l’ensemble du conseil municipal, le projet de loi fixe le second tour au cours du mois de juin, sous réserve bien-sûr, que nous ayons contenu l’épidémie. Pour nous en assurer et pour anticiper, le Gouvernement remettra un rapport au Parlement le 10 mai 2020. Ce rapport se fondera sur les observations du conseil scientifique. Si tout va mieux, nous pourrions voter, sur la base des résultats du premier tour, au plus tard à la fin du mois de juin. Si nous devons conclure que l’épidémie rend encore impossible la tenue de l’élection en juin, nous reviendrons devant vous pour décider des meilleures mesures à prendre qui exigeront la réorganisation d’élections municipales et le report du mandat des sénateurs puisque les élections sénatoriales doivent se tenir en septembre.
Ce rapport permettra également d’indiquer s’il est possible d’installer les Conseils municipaux dans les communes où le 1er tour a permis d’élire l’ensemble du conseil. Cette installation, si elle est possible, interviendrait alors dans des délais très brefs, de l’ordre de la semaine suivant le 10 mai. Cette solution se fonde d’une part, sur l’avis du Président du conseil scientifique qui, consulté jeudi, a indiqué que les conditions sanitaires pour l’installation des conseils municipaux, prévue par le code électoral entre vendredi matin et dimanche, n’étaient plus réunies. Elle repose d’autre part sur une analyse partagée des contraintes pesant sur nous. Cette analyse a permis de construire une solution qui m’apparaît à la fois simple, claire et raisonnable. Elle implique la prorogation des mandats des sortants, laquelle permet d’assurer la continuité de l’administration des affaires locales. Elle impose au Gouvernement d’expliquer ses choix au Parlement à une date fixée par la loi, le 10 mai. L’urgence nous a conduit à annoncer dès jeudi soir les orientations prises, afin de surseoir aux réunions qui étaient prévues, pour certaines, dès le lendemain. Je suis certain que tous ici, sans nécessairement partager la solution retenue, comprennent qu’il y avait urgence à la porter à la connaissance des communes concernées même si cela, je l’admets, contraint un peu notre discussion d’aujourd’hui.
Vous le savez, le projet de loi propose également des règles spécifiques pour clarifier un certain nombre de cas. Je pense à celui des communes de moins de 1 000 habitants dans lesquelles il arrive que des candidats soient élus au premier tour, sans que le conseil municipal soit au complet. Le projet prévoit aussi des règles relatives au bon fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale. Sur tous ces points, le Sénat puis l’Assemblée nationale recherchent des solutions pragmatiques et je me réjouis que nous puissions les mettre en œuvre.
Je pense également aux collectivités du Pacifique, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie Française, pour lesquelles nous proposons un régime spécifique concernant les élections : le second tour pourrait se tenir à un moment différent de celui dans les autres territoires, pour tenir compte de la situation sanitaire de ces territoires. L’épidémie se propage dans le monde à des rythmes différents. Elle touche donc les territoires à des rythmes différents. Il faut pouvoir en tenir compte dans l’élection de ce second tour.
Sur cet ensemble de dispositions, la discussion d’hier avec le Sénat a été marquée par un esprit de compromis républicain qui a permis de surmonter la plupart des difficultés qu’engendre cette situation inédite. Reste toutefois à régler une question importante sur laquelle une différence demeure. Celle de la date du dépôt des listes pour le second tour. Le Gouvernement propose, pour des raisons de réalisme, que cela soit décidé en consultation avec les forces politiques lorsque nous connaitrons effectivement les conditions dans lesquelles se tiendra ce second tour. J’ajoute à titre personnel qu’il me paraît curieux d’imposer des négociations à des équipes composées de candidats confinés pour la plupart, et qui ont mille autres choses à penser.
La deuxième partie du texte instaure un dispositif d’« état d’urgence sanitaire ».
Actuellement, notre droit dispose de deux fondements pour prendre des mesures sanitaires : le pouvoir de police générale du Premier ministre et l’article L.3131-1 du code de la santé publique. C’est sur ce second fondement que nous avons pris depuis janvier toutes les mesures qu’appelait la crise. Cet article permet au ministre de la santé de prendre « toute mesure pour protéger la santé de la population », en cas de « menace » d’épidémie. Mais nous ne sommes plus confrontés à une « menace » d’épidémie. Nous sommes dans la bataille et elle ne fait que commencer. Ce texte n’est par conséquent plus approprié. Il nous est apparu nécessaire que la mesure de confinement durable de nos concitoyens soit fondée sur un régime spécifique encadrant les restrictions temporaires apportées à des libertés fondamentales.
Pour souligner la nature sanitaire – et non sécuritaire – de ce nouveau régime, nous n’avons d’ailleurs pas inscrit le nouveau dispositif dans la loi de 1955 mais dans le code de la santé publique.
Nous sommes dans l’urgence et dans l’inédit, ce qui a à nos yeux trois conséquences.
La première, ce sont les conditions de déclenchement de ce dispositif. Elles s’inspirent de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence : une déclaration par décret en Conseil des ministres instaure cet état d’urgence sanitaire. La prorogation au-delà d’un mois nécessite une loi. Je l’ai dit devant le Sénat et je le redis devant l’Assemblée nationale : le projet initial du Gouvernement était de proposer que le Parlement puisse prononcer la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, non pas au terme d’un délai d’un mois, mais au terme d’un délai de 12 jours. Au fond, pour calquer le mécanisme de déclenchement sur l’état d’urgence issu de la loi de 1955. Le Conseil d’Etat a suggéré que ce délai soit porté à un mois en se fondant sur l’idée que, non pas en cas de menace d’épidémie mais d’épidémie bien réelle, il pouvait être délicat de réunir dans de bonnes conditions. C’était la proposition du Conseil d’Etat. Elle est aujourd’hui dans le texte mais je le dis pour éclairer l’Assemblée au moment où elle délibèrera et prendra sa décision.
Jeudi, le Sénat a proposé de considérer que l’entrée en vigueur de la loi que vous allez examiner ait un effet équivalent à celui de cette prorogation, ce qui nous permettra de prendre sans délai les mesures prévues par l’état d’urgence sanitaire. Je crois qu’il s’agit là d’une bonne idée.
La seconde conséquence concerne le contrôle parlementaire. Il est indispensable. Je dirais même qu’il est une des raisons d’être de ce texte : pas de mesures d’urgence sans un contrôle parlementaire renforcé. Ce contrôle s’exerce à deux niveaux.
Sur le texte lui-même d’abord. Le cadre juridique dont nous débattons est inédit. Donc nécessairement perfectible. Le Sénat a proposé que le Gouvernement revienne au moins deux fois devant le Parlement : dans deux mois, pour prolonger l’état d’urgence sanitaire si cela est nécessaire, puis dans un an, pour évaluer, avec plus de recul, le cadre juridique que nous sommes en train de construire. Ces rendez-vous sont utiles, et, si votre assemblée les confirme, le Gouvernement les honorera dans l’esprit de dialogue et de respect de l’équilibre des pouvoirs auquel vous me savez personnellement attaché.
Le contrôle du Parlement doit s’exercer aussi sur les mesures prises dans le cadre de cet état d’urgence sanitaire. Toutes les mesures réglementaires prises dans ce cadre doivent lui être transmises.
Mais nous avons, autant le dire, une divergence de lecture avec le texte adopté par le Sénat qui prévoit que c’est l’ensemble des mesures d’application de cette loi qui sont soumises à ce contrôle. Or le projet de loi porte 43 habilitations : un travail colossal s’est engagé, dès à présent, pour que les plus urgentes de ces ordonnances, une vingtaine, soient délibérées en Conseil des ministres dès la semaine prochaine. C’est très ambitieux et très exigeant. L’efficacité de ce travail suppose que nous puissions nous y consacrer à plein temps si nous voulons très rapidement définir les solutions qui garantissent la sécurité juridique de nos concitoyens face à une période de confinement qui va impacter nos situations dans tous les domaines de la vie sociale.
C’est pourquoi nous vous demanderons de resserrer le champ de contrôle parlementaire renforcé aux seules mesures relevant stricto sensu de l’état d’urgence sanitaire. Ce qui, d’ailleurs, permettra de l’inscrire dans le code de la santé publique et de le mettre en œuvre systématiquement dès que cet état d’urgence sanitaire serait déclenché.
Enfin, la troisième conséquence de cette situation urgence et inédite, c’est qu’il est très difficile de dire à l’avance de quelles mesures nous aurons besoin pour faire face à la crise. Le propre des grandes crises contemporaines, c’est de nous obliger à sortir du cadre, à être, comme disent les spécialistes, et si vous permettez cet anglicisme, « out of the box ». C’est pourquoi le texte du Gouvernement avait conféré une portée assez large aux mesures susceptibles d’être prises par décret en cas de déclenchement de l’état d’urgence sanitaire. Je comprends les réticences que cela peut provoquer : nous parlons de restriction de la liberté de circulation, de la liberté d’entreprendre, de la liberté de réunion.
Jeudi, le Sénat s’est efforcé de dresser une liste limitative des mesures possibles. Mais nous avons constaté qu’elle n’était pas complète, et deux rubriques ont été ajoutées, en séance. Nul ne peut dire aujourd’hui si cette liste est complète, et il sera peut-être délicat de revenir devant le Parlement en urgence à chaque fois qu’il manquerait un outil. Par exemple, le texte adopté par le Sénat ne nous permettrait pas, si c’était nécessaire, d’interdire les déplacements à des fins professionnelles. De même il ne nous permettrait pas de fermer tous les établissements recevant du public. Il n’offre pas davantage la possibilité d’interdire certaines importations ou surtout de le faire pour des exportations, sauf à réquisitionner les produits.
Nous allons par la force des choses, non pas parce que le travail ne serait pas fait mais parce que la réalité est infiniment complexe, être tenus de prendre des décisions au fur et à mesure que l’épidémie évolue.
C’est pourquoi nous vous demanderons tout à l’heure, de conserver la possibilité de ne pas s’enfermer dans cette liste, dans une sorte de « clause de compétence générale ». Cette clause pourrait en revanche ne s’appliquer qu’aux mesures générales et être exclu, comme le souhaitait le Sénat (et je crois certains d’entre vous) en ce qui concerne les mesures individuelles. Nous resterons, bien sûr, dans l’objectif de santé publique et de restrictions temporaires qui est notre objectif exclusif, et nous placerons ces mesures sous le contrôle renforcé du juge, avec un référé sous 48 heures, et du Parlement.
Le titre III du projet de loi est relatif aux mesures d’urgence économique et aux mesures d’adaptation de notre cadre juridique aux conséquences de la propagation du virus.
Je le disais, cette crise sanitaire provoque un choc économique d’une extrême brutalité, en France comme dans le monde entier. Grâce aux technologies contemporaines, environ huit millions de nos concitoyens peuvent faire du télétravail. Ils continuent, malgré la situation, à faire avancer le pays. Je pense par exemple à nos enseignants, qui assurent la continuité pédagogique, à distance et qui font preuve d’une inventivité et d’un engagement admirables. Mais la vie des entreprises est profondément bouleversée, dans des conditions qui porter atteinte à la continuité de la vie de la Nation. Et pour des millions de commerçants, d’indépendants, de salariés, d’intermittents du spectacle, pour des milliers d’entreprises industrielles ou de service, sur tout le territoire national, dans l’Hexagone comme en Outre-mer, le confinement entraîne une rupture brutale d’activité. Ce qui les place dans une situation critique.
Les chiffres d’affaires ont chuté de 50% voire de 100% dans de nombreux secteurs – je pense au transport aérien, à l’hébergement, aux activités culturelles et sportives, à l’évènementiel, à la restauration, au commerce de détail non-alimentaire.
Dès lors, le cadre fixé par le président de la République est clair : quoi qu’il en coûte, nous soutiendrons nos entreprises, nous soutiendrons nos emplois et nous soutiendrons les plus vulnérables. La solidarité nationale jouera son rôle, à tous les niveaux, en limitant les conséquences de la crise sanitaire tant pour les entreprises que pour les particuliers. Notre économie doit et peut surmonter cette épreuve historique et tous les Français doivent sentir qu’un effort collectif est à l’œuvre.
Le titre III comporte donc les habilitations nécessaires pour prendre par ordonnance les mesures économiques et sociales temporaires que l’urgence impose.
En premier lieu, nous devrons prendre de nombreuses mesures économiques, comme le soutien à la trésorerie des entreprises ou une forme de moratoire aux très petites entreprises sur leurs loyers ou leurs factures d’eau et d’électricité. Il faudra aussi adapter temporairement le droit des procédures collectives pour préserver les entreprises les plus touchées.
Sont prévues en deuxième lieu des mesures de dérogation temporaire au droit du travail comme la limitation des ruptures de contrats de travail, le recours aux congés payés ou les règles relatives au repos. Je souhaite être, à cet égard, aussi clair et solennel que possible. Les mesures que nous présentons sont temporaires et doivent être strictement limitées à la période d’urgence sanitaire que nous traversons. Elles ne font pas précédent et ne remettent en aucun cas en cause les fondements de notre démocratie sociale ou notre attachement au dialogue social. Et elles ne peuvent pas dépasser un certain nombre de bornes qui sont imposées aux droits nationaux dans le cadre communautaire. Elles ont pour seul et unique objectif de permettre la poursuite du travail et d'endiguer les licenciements massifs et les faillites qui ruineraient des milliers d’entreprises et des millions de Français. Leur application sera contrôlée de façon à éviter tout abus.
En troisième lieu, nous souhaitons permettre la gouvernance des entreprises, des associations, des syndics de copropriété, par exemple en simplifiant les tenues d’assemblées générales de toutes sortes.
A l’heure où le confinement et la maladie compliquent toutes les démarches, nous voulons préserver les droits de tous nos concitoyens en modifiant ou en suspendant les délais et les procédures devant les juridictions civiles, pénales et administratives. Il nous faudra aussi adapter les règles de procédure pénale pour protéger la santé des professionnels et des justiciables ainsi que celle des personnes sous main de justice. On voit bien là, qu’il serait inouï que le confinement, associé à la règle normale d’application des délais de droit commun transforme la situation de nos concitoyens, les prive d’un droit ou les fasse bénéficier de choses auxquelles ils n’auraient pas le droit normalement, simplement parce qu’on ne pourrait plus agir comme on le fait en temps normal.
En cinquième lieu, la loi comporte des habilitations pour faciliter la garde des enfants, et des mesures pour protéger les personnes vulnérables : demandeurs d’emploi en fin de droits, bénéficiaires des minimas sociaux, personnes en situation de handicap. Nous proposons aussi de repousser la fin de la trêve hivernale, ce qui sursoit aux expulsions locatives. Et nous avons maintenu ouvertes toutes les places d’hébergement d’urgence, avec de nouvelles offres à destination des personnes sans domicile fixe.
Nous serons aux côtés des plus petites entreprises, celles qui maillent et animent tous nos territoires. Nous serons aux cotés des indépendants, aux côtés de tous les travailleurs, en favorisant le recours massif au chômage partiel, qui sera rendu plus protecteur encore. Et nous serons aussi là pour les fleurons de notre industrie. Nous n’excluons rien pour sauver le tissu productif français, pas même les nationalisations.
Notre pays est tout entier mobilisé et toute l’énergie de l’Etat doit être consacrée à la lutte contre l’épidémie. C’est pourquoi le président de la République a annoncé que les autres réformes étaient suspendues, notamment l’examen et la mise en œuvre du système universel des retraites et l’application de certaines dispositions de la réforme de l’assurance-chômage. Au titre des suspensions, je crois également nécessaire, pour la seule période de l’urgence sanitaire, de suspendre les dispositifs de jour de carence dans le secteur privé comme dans la fonction publique. Pour la seule période de l’urgence sanitaire.
Mesdames et Messieurs les députés,
Face à l’urgence, nous sommes contraints de proposer au Parlement un examen de ces projets de loi dans des délais serrés. Et je vous remercie, très sincèrement, de la rapidité avec laquelle vous avez fait prévaloir une forme d’union sacrée pour que le droit se mette au secours de la crise.
J’aimerais conclure en pensant à l’après. Non pas du tout parce que le présent serait simple et qu’il serait déjà derrière nous. Le présent est redoutable et il va durer. Mais un jour prochain tout cela finira bien par finir.
Nous surmonterons cette épidémie. Nous allons la traverser. J’ai confiance à cet égard dans notre système de santé et dans la vaillance des Français. Nous la surmonterons en déplorant trop de disparus. Je pense à eux avec émotion, j’adresse à leurs familles et à leurs proches mes condoléances attristées. Mais toutes celles et ceux qui se battent heure après heure contre le virus auront pour eux la conviction qu’ils ont fait tout leur possible pour en minimiser l’impact. C’est pourquoi le temps d’après sera plein, aussi, de la reconnaissance que nous éprouvons pour nos soignants, nos ambulanciers, pour nos sapeurs-pompiers, nos forces de l’ordre, pour nos chercheurs, qui s’emploient jour et nuit à trouver des remèdes. Il sera plein de la reconnaissance que nous éprouvons pour celles et ceux qui assurent la continuité de la vie, qui, gardant leur calme, inventent les solutions quotidiennes aux difficultés que nous traversons.
Mais nous le savons bien. Le temps d’après sera aussi celui du bilan économique, probablement sévère, de la crise, pour la France, pour l’Europe, pour nos voisins qui nous sont chers et sont nos alliés, nos amis, nos cousins. Je pense à l’Italie, à l’Espagne, au Royaume-Uni, à l’Allemagne. Tout autour de nous, les pays auront à subir un impact humain, économique et social considérable.
Il nous faudra retrousser nos manches pour reconstruire, avec l’élan, l’espoir et le souffle nécessaires ce qui doit l’être. Je sais que nous pourrons compter sur nos concitoyens, sur nos institutions et sur notre génie national pour y parvenir. Je sais que nous surmonterons cette crise et tout notre effort collectif vise, au-delà même de l’urgence sanitaire, à chercher dès maintenant les leçons qu’il faudra tirer de cette épreuve pour en sortir renforcés dans notre cohésion nationale et dans la capacité de la France à s’affirmer comme une Nation moderne, solidaire et visionnaire. Comme une Nation qui compte dans le monde contemporain.
Je vous remercie.

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