Discours lors du 80e anniversaire du Centre national de la recherche scientifique

Ce contenu a été publié sous le gouvernement du Premier ministre, Édouard Philippe.

Publié le 01/02/2019

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre

80ème anniversaire du Centre National de la Recherche Scientifique

Paris

Vendredi 1er février 2019
Seul le prononcé fait foi
Madame la ministre,
Monsieur le président,
Monsieur le commissaire européen à la recherche, à l’innovation et à la science,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les présidents d’université et d’organisme,
Mesdames et Messieurs les directeurs d’unité,
Mesdames et Messieurs,
“La vocation de la science est inconditionnellement la vérité. Le métier du politicien ne tolère pas toujours qu’on la dise.” C’est en tout cas ce qu’écrivait Raymond ARON dans sa préface à un livre de Max WEBER qui nous concerne assez directement ce matin, Le savant et le politique.
J’ai bien conscience que commencer un discours en jetant comme une forme de voile sur la capacité de l’homme politique à dire la vérité a quelque chose de dangereux. Je vais essayer de démentir ARON, ce qui n’est pas rien. Et je n’ai aucun problème à dire la vérité en disant que je suis très heureux d’être ici, en cette journée d’anniversaire. De vous retrouver Monsieur le président, Monsieur le commissaire, Monsieur le professeur, et d’essayer d’évoquer avec vous les sujets que vous avez vous-même traité Monsieur le président, notamment ces questions relatives au temps long. Au cadre dont vous avez besoin pour réaliser vos travaux. Au cadre pluriannuel dont vous allez avoir besoin pour pouvoir penser et concevoir vos programmes. A tout ce qui va faire que vous pourrez regarder l’avenir avec confiance.
Il y a 80 ans, vous l’avez dit Monsieur le président, un savant et un homme politique fondaient le CNRS, Jean PERRIN et Jean ZAY. Le fait qu’ils l’aient créé au moment que vous avez indiqué traduit cette relation particulière, très vraie en France et probablement vraie ailleurs, entre la science et la politique dans les moments de reconstruction ou dans les moments de grands défis nationaux.
Depuis le XVIIIème siècle, il y a un lien puissant entre science et politique. Un lien puissant entre la place qu’on offre à la science et la capacité qu’on a à modeler des grands programmes politiques ou des grandes transformations de notre pays. C’est MONGE en 1789. C’est ARAGO en 1848. C’est peut-être Jean PERRIN au moment où la France se voit près de la bascule et où malheureusement elle y tombe. Tout le monde voit bien l’impact qu’ont pu avoir des grandes découvertes scientifiques, techniques sur la démocratie. Tout le monde voit bien aussi que des grandes avancées démocratiques peuvent transformer le cadre dans lequel la science réfléchit, travaille, avance, débat. Le meilleur exemple est sans doute celui de la Révolution, et il y a mille exemples à cette époque. On rappelle le cas de ces deux astronomes, MÉCHAIN et DELAMBRE qui, en 1792, sont mandatés par l’Académie des sciences pour définir le mètre, une unité de mesure.
Selon le mot de CONDORCET que vous connaissez, “pour tous les hommes et tous les temps”. On voit bien dans cette formule, le lien entre l’universalité du système politique qui s’envisage et l’universalité du savoir et de la norme qui se propose au monde. Jusqu’à cette époque, la diversité française, y compris en matière de mesure, était très créatrice. La pinte de bière était moins remplie à Saint-Denis qu’elle ne l’était à Paris, ce qui était fâcheux, surtout à Saint-Denis. Et il a donc fallu harmoniser, unifier. MÉCHAIN et DELAMBRE pendant 7 ans ont parcouru l’arc méridien qui va de Dunkerque à Barcelone. On me dit, mais je ne sais si c’est vrai, que MÉCHAIN s’est un peu trompé. Enfin je ne sais pas s’il s’est trompé mais qu’il a commis une erreur et que son mètre était trop court de 0,2 millimètres, ce qui l’a rendu fou de chagrin. D’une certaine façon, c’est une anecdote qui résume assez bien le cheminement de la science, le cheminement au sens propre : vous avez besoin de temps. Vous avez besoin de moyens. Vous avez besoin de douter. Vous avez besoin de rebrousser chemin parfois. Vous avez besoin qu’on vous laisse le droit à l’erreur, ce qui montre que finalement, entre le savant et le politique, il peut y avoir des correspondances. Mais n’oublions pas que le code civil et le système métrique sont contemporains. N’oublions pas que cette volonté de poser la vérité scientifique et de poser un système de droit et un système démocratique est dans notre histoire incroyablement contemporaine.
On m’a raconté que François JACOB dans une conférence à l’Académie des sciences distinguait « la science de jour » et « la science de nuit ». La première, disait-il, « met en jeu des raisonnements qui s’articulent comme des engrenages, des résultats qui ont la force des certitudes », alors que la seconde, la nocturne « hésite, trébuche, recule, transpire, se réveille en sursaut ». Là aussi, il y a quelques correspondances entre le savant et le politique. Le politique souhaitant souvent que la marche et le Gouvernement des hommes et l'administration des choses puissent être comme une mécanique bien huilée, qui mettrait en jeu des raisonnements qui s'articulent comme des engrenages, des résultats qui auraient la force des certitudes, alors qu'en vérité, elle est souvent un exercice où on hésite, où on trébuche, où on transpire souvent, et où il arrive parfois qu'on se réveille en sursaut.
Je voudrais dire un mot, peut-être plus pressant d'actualité, sur le débat et sur la correspondance entre la science et la politique. Parce que, dans la période que nous vivons actuellement, nous avons tous conscience de la remise en cause de la légitimité des élus, de la parole qu’ils peuvent porter, des engagements qu'ils peuvent prendre, des résultats qu'ils peuvent produire. Elle s'exprime depuis longtemps dans notre pays de façon croissante, et pas seulement dans notre pays. Je pense que tous ici nous pouvons reconnaître le fait que cette mise en cause n'est pas sans lien non plus avec une mise en cause de la science, de la rationalité scientifique, de la méthode scientifique, de la légitimité du savoir et de la raison. Et peut-être l’éprouvez-vous dans votre vie quotidienne, dans le fonctionnement de vos travaux, dans la capacité que vous avez à en rendre compte devant un public. Cette remise en cause de la science, de la connaissance scientifique est à prendre au sérieux. Elle est préoccupante. Elle est préoccupante dans le débat public. Nous vivons dans un monde où la notion de danger est partout mais où l'expertise scientifique peut être remise en cause immédiatement, généralement. Entendez-moi bien, je ne déplore pas le fait que des débats publics puissent se saisir d'éléments et contester, exprimer des angoisses, exprimer des opinions. C'est très sain dans une démocratie.
Je m'interroge sur la mise à plat et sur l'absence de perspectives qui peut naître dans une démocratie lorsque la vie scientifique, étayée par des années de travail collectif, de mise en cause scientifique de résultats, est mise sur le même plan que l'opinion, que l'angoisse, que la réaction, traitée de la même façon, introduite dans les mêmes conditions dans le débat public, évaluée au même niveau. C'est un énorme sujet scientifique et politique, et pour le coup, nous sommes, si je puis dire, dans le même bateau. Je l'évoque avec vous aujourd'hui parce qu'il n'aura échappé à personne que nous nous sommes engagés, à la fois parce que nous y étions, largement invités, mais parce qu'il nous semblait que c'était utile de le faire, dans un exercice original de grand débat qui prend bien. Je vous assure, c'est à la fois fascinant et réjouissant. Partout en France, nos concitoyens, quel que soit leur âge, quelle que soit leur situation professionnelle, quelle que soit leur installation géographique, sont en train de se saisir de cette opportunité de débattre sur des sujets d'intérêts nationaux. Je l'ai vu moi-même à Sartrouville, ou hier dans l'Allier, dans une petite commune de 260 habitants. Il y a une appétence extraordinaire de nos concitoyens à participer à ce débat national.
Il serait, Mesdames et Messieurs, mortifère, et probablement criminel, pour la démocratie que les scientifiques ne participent pas à ce débat, qu'ils n'apportent pas leur contribution, leur capacité à mettre en perspective, leurs avis dans ce grand débat national car, au cœur de ce grand débat national, il y a des questions où la science a des choses à dire. Et toutes les sciences, et peut-être même plus que la Science avec un grand S, le raisonnement scientifique, le doute scientifique qui s'accompagne de la capacité à exprimer ensuite quelque chose qui est regardé comme la vérité.
Je le dis comme un appel à vous, Mesdames et Messieurs : ce grand débat national ne peut pas être un grand débat où les concitoyens s'exprimeraient sans que les scientifiques aient des choses à dire sur le monde dans lequel nous vivons, sur l'instant dans lequel nous vivons. Je pense que nous y avons tous intérêt. Je pense que notre pays, notre nation, notre histoire y a intérêt. Et c'est comme ça, notamment mais pas seulement, que nous pourrons, je crois, relever un défi collectif qui est probablement un des plus grands défis. Il faut toujours se méfier quand on dit que c'est le plus grand défi parce qu'il y a tellement de grands défis à relever qu'il est difficile de les classer. Néanmoins, nous avons dans cette période que nous vivons un défi qui est à la fois un défi démocratique, scientifique, un défi éternel, celui de l'intelligence. De l'intelligence individuelle, bien entendu, mais de l'intelligence collective, de la capacité que nous avons à poser des choses dans le débat pour prendre des décisions qui sont éclairées, à faire avancer le monde dans un sens qui nous convient plutôt qu'à subir ses évolutions sans les comprendre ou sans les orienter.
Ce défi de l'intelligence face aux problèmes du présent, face aux incertitudes de l'avenir, il nous a conduit à orienter la politique du Gouvernement depuis le début, de façon dont je ne prétends pas qu'elle soit spectaculairement visible, mais d'une façon dont je revendique qu'elle soit parfaitement cohérente. C'est parce que nous sommes convaincus que la force d'un pays, la compétitivité d'un pays, la solidité d'un pays dépend notamment, et peut-être à titre premier, de sa capacité à développer en permanence son intelligence. Nous avons, dans des domaines très variés, pris des mesures qui s'inscrivent dans cette direction. C'est la raison pour laquelle nous rendons obligatoire l'instruction à partir de 3 ans. C'est la raison pour laquelle, dès l'arrivée de ce Gouvernement, nous avons choisi, avec le ministre de l'Éducation nationale, de mettre le paquet sur les petites classes, en prenant cette mesure de dédoublement des classes CP et CE1 dans les zones REP et REP+. À la rentrée 2019, cela concernera 300 000 enfants. Il est absolument évident que cette mesure de dédoublement des classes ne produira aucun effet de court terme. Plus exactement, elle produira des effets considérables à court terme, mais il sera très compliqué de les mesurer et d'en voir la transformation sociale et collective qui sera permise par ces mesures. Mais faire en sorte de mieux garantir la capacité de nos concitoyens à maîtriser au CP et au CE1 l'acquisition des connaissances fondamentales, de l'écriture, de la lecture, du calcul, est quelque chose qui, j'en suis intimement convaincu, va transformer dans le temps notre appréhension de la société, notre façon d'enseigner.
C'est la même raison pour laquelle nous avons souhaité transformer le baccalauréat. C'est la même raison pour laquelle nous avons souhaité transformer l'accès à l'enseignement supérieur avec la réforme Parcoursup. C'est la même raison qui a justifié notre transformation de l'apprentissage ou l'investissement considérable que nous avons réalisé dans la formation continue et dans l'acquisition générale des compétences. Quel que soit l'âge de la vie, nous devons améliorer et muscler notre intelligence collective. Cela passe par des investissements, par des transformations de méthodes, par des transformations de procédures depuis le plus jeune âge jusqu'à la fin de la vie, car on apprend et on devient intelligent toute sa vie. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons choisi d'investir dans la recherche, parce qu'elle est un capital d'une certaine façon. On voit bien le crédit que peut susciter à l’étranger notre capacité à investir dans la recherche. On présente souvent la France comme le quatrième pays au monde pour le nombre de Nobel reçus, le deuxième pour les médailles Fields, le septième en termes de publications. Je cite ces chiffres car ils sont à l'honneur de la recherche française depuis longtemps. Je ne crois pas qu'ils résument les enjeux d'une certaine façon mais nous voyons bien, quand par exemple nous discutons de la capacité de notre pays à devenir de plus en plus attractif, que la recherche et l'innovation sont en tête des atouts cités par les dirigeants mondiaux d'entreprises dans tous les baromètres qui existent sur l'attractivité de la France. La compétition mondiale pour l'innovation, pour la recherche, pour l'intelligence d'une certaine façon, ne va pas faiblir. Tout indique qu'elle va même être de plus en plus forte, de plus en plus intense. Il faut donc que nous accroissions notre effort, que nous améliorons nos procédures.
Depuis le début du quinquennat, les moyens du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et l'Innovation ont été renforcés de 1,3 milliard d'euros. Ils atteignent aujourd'hui un peu plus de 25 milliards d'euros. Pour le champ de la recherche, la progression est de l'ordre de 8% sur deux ans. C'est à la fois notable et réel dans un contexte où la progression des finances publiques est plutôt contrainte. C'est une des raisons pour laquelle je viens de décider, dans le cadre du Programme d'investissements d'avenir, la prolongation des Labex qui ont été évalués positivement. C'est 400 millions d'euros qui seront injectés dans les laboratoires d'ici 2025. Les effets de ces investissements se matérialiseront progressivement, à la fois pour les universités et pour les organismes de recherche. Dissocier les deux n'aurait aucun sens. Le CNRS a d'ailleurs joué un rôle central dans l'émergence de grands écosystèmes de recherche, d'enseignement supérieur et d'innovation qui peuvent encore gagner en attractivité et en efficacité. Cela implique de renforcer l'autonomie des universités. Cela implique que chacun précise sa signature tout en accroissant la collaboration entre les différents acteurs du système sous la houlette d'Alain FUCHS et d'Antoine PETIT.
Le CNRS a mis au cœur de sa stratégie le développement d'un partenariat équilibré avec les universités. Nous allons accompagner ce processus et en tirer les conséquences. C'est pourquoi Frédérique VIDAL a engagé une profonde refondation du dialogue contractuel sous deux angles : la mise en place d'un dialogue annuel de gestion avec l'État, sur le modèle de ce qui est pratiqué depuis longtemps avec les organismes, et, en parallèle, la prise en compte de la réalité des sites dans la contractualisation avec les organismes de recherche, site par site. Cela sera aussi l'occasion d'expliquer la stratégie commune aux acteurs. Ce sera le cas pour le CNRS dès cette année. Ce combat pour l'intelligence, nous ne le gagnerons pas dans le repli. Vous l’avez dit Monsieur le président, nous le gagnerons par une franche ouverture sur la cité et sur le monde. Les organismes vont ainsi piloter des grands programmes nationaux de recherche pour coordonner notre effort national vers l’émergence de solutions. Je prends l’exemple du sujet préoccupant de la dégradation de la biodiversité, mais nous avons aussi besoin de vous pour dynamiser la compétitivité de nos entreprises en leur proposant des innovations, parfois des innovations de rupture, qui bouleverseront peut-être un marché, qui créeront peut-être de nouveaux usages, de nouveaux emplois.
Le public et le privé, la recherche et l'activité de production ont tout à gagner à renforcer leur collaboration. Pour les entreprises, la recherche publique est un formidable gisement d'innovation et donc de croissance ; pour les laboratoires publics, se confronter à des cas d'usage est une source d'inspiration souvent précieuse. C'est d'ailleurs ce que montre l'exemple de Louis NÉEL qui imagina un système pour protéger les navires français contre les mines magnétiques que la marine allemande mouillait au large de nos côtes. Louis NÉEL donne maintenant son nom à l'un des plus gros laboratoires du CNRS. Plus récemment Monsieur le professeur, cher Gérard MOROU, vos découvertes sur la génération d'impulsions optiques très intenses et ultra-courtes. Tout cela donne déjà lieu à des applications médicales qui vont changer nos vies. Et ça montre bien ce lien que chacun connaît ici entre cette recherche et la transformation matérielle de notre tissu productif ou des services qui peuvent en découler.
L'ouverture sur la cité, ça peut aussi se traduire par la création de toutes petites entreprises. Chaque année une centaine de startups est issue des laboratoires du CNRS et de ses partenaires. Je pense à Pixium Vision qui développe des systèmes de restauration de la vue, Damae Medical qui met au point des sondes optiques permettant de sculpter la peau de manière non-invasive. La loi Pacte va simplifier, de ce point de vue et assez nettement, la vie des chercheurs-entrepreneurs. Tous les chercheurs n'ont pas vocation à devenir des entrepreneurs et ce n’est pas grave, mais il y a dans la recherche et dans l'entrepreneuriat des correspondances. Un goût du risque, une forme d'appétit de conquête parfois, qui peut être conjuguée et qui lorsqu'elle souhaite être conjuguée doit pouvoir être encouragée. Cette ouverture sur la cité, elle doit s'accompagner d'une ouverture sur le monde.
Je voudrais dire un mot d'un sujet dont je sais qu'il est sensible, c'est la question de l'échelle européenne, Monsieur le commissaire de la recherche, dans le contexte du Brexit qui suscite évidemment des inquiétudes de la part de la communauté universitaire et scientifique. Je voudrais simplement rappeler deux points en la matière. D'abord, la libre circulation des savoirs restera évidemment le ciment de l'Europe, avec ou sans le Royaume-Uni. Erasmus et les bourses Marie CURIE font maintenant partie de notre ADN commun, tout comme le European Research Council que nous allons travailler à renforcer dans le prochain programme-cadre. L'espace européen de recherche sera resserré, et enrichi je crois, par le développement des universités européennes que nous appelons de nos vœux. L'Europe reste par ailleurs la bonne échelle pour la compétition économique. Je me réjouis que la proposition française de soutenir l'innovation de rupture ait été favorablement accueillie par la Commission, Monsieur le commissaire. C'était une bonne idée. La recherche reste donc un marqueur et un socle de la construction européenne. Pour autant, vous le savez, la France ne postule pas assez aux appels à projets européens et n'obtient pas suffisamment de résultats lorsqu'elle postule. Nous obtenons à peine plus de 10% des financements alloués alors que la communauté française représente 16% de la recherche européenne alors qu'elle a besoin de ces financements. Quand elle postule, elle a un très bon taux de succès, mais elle ne postule pas assez. C'est vrai, et c'est souvent très insuffisant, notamment pour les sciences humaines et sociales, dont nous savons tous l'importance. Frédérique VIDAL a mis en place des mesures d'incitation et d'accompagnement en la matière. Enfin il est moins question de mesures que de mobilisation et j'attire donc l'attention collective sur la nécessité d'aller chercher les financements là où ils sont. Ils existent. Nous avons d'excellents arguments pour les obtenir. Nous devons mieux nous organiser, mieux nous mobiliser pour aller les chercher. C'est l'intérêt collectif, c'est aussi l'intérêt national.
L'ouverture sur le monde, enfin, consiste à être en mesure d'attirer les chercheurs les plus brillants de la planète. Vous avez dit, Monsieur le président, que le CNRS recrutait environ 30% de chercheurs étrangers chaque année et que la moitié des publications sont cosignées avec des partenaires étrangers. Je mentionne ce point car j'ai entendu les interrogations formulées dans le cadre de la stratégie d'attractivité « Bienvenue en France » que nous avons présentée. Je voudrais le dire le plus clairement possible : notre objectif, c'est bien d'accueillir plus d'étudiants internationaux et surtout de mieux les accueillir. Nous avons parfaitement conscience que l'accueil des étudiants internationaux n'est pas véritablement, ou en tout cas pas toujours à la hauteur de ce qu'il pourrait être et de ce qu'il devrait être pour attirer les meilleurs et pour permettre à ceux qui sont accueillis de s'épanouir dans leurs travaux, dans leurs apprentissages, dans leurs recherches. Nous voulons accueillir 500 000 étudiants internationaux d'ici 2027. C'est beaucoup plus qu'actuellement. Nous allons pour cela tripler le nombre de bourses et d'exonérations. La ministre Frédérique VIDAL est prête à aller plus loin si les établissements en expriment le besoin. Une concertation sur les modalités de mise en œuvre de la réforme est en cours avec l'ensemble des parties prenantes. Nous partageons, avec la ministre, la nécessité de faire une place et de porter une attention particulière pour les doctorants, car ils contribuent activement à la vitalité de notre système d'enseignement supérieur et de recherche. Mais, je le dis, notre système, s'agissant des étudiants étrangers, doit se transformer. Il doit être plus attractif, il doit être plus accueillant, il doit être, à certains égards, plus exigeant. Il ne faut pas avoir peur de la compétition. Il faut, au contraire, l'assumer. Nous avons tous les arguments pour faire en sorte de faire venir d'excellents étudiants partout dans le monde. Nous avons tous les instruments qui nous permettent de prendre en compte les éventuelles difficultés financières des étudiants brillants que nous voudrions accueillir, mais nous devons nous fixer comme objectif d'être, en la matière, à la hauteur de nos compétiteurs.
Mesdames et Messieurs, vous l'avez perçu, je l'espère : notre ambition, c'est que la France devienne l'un des pays les plus attractifs au monde par l'excellence de son accueil et de sa recherche. Que nous ne manquions pas les virages décisifs de l'économie de la connaissance. Que nous restions dans la droite ligne des objectifs de Lisbonne, Monsieur le Commissaire.
C’est pourquoi j'ai demandé à Frédérique VIDAL de mettre en chantier l'élaboration d'une loi de programmation pluriannuelle pour la recherche. Nous devons nous donner des perspectives. Nous devons travailler dans le temps. Nous devons vous donner des perspectives. L'objectif de cette loi de programmation pluriannuelle, c'est d'engager dans la durée les transformations dont notre recherche a besoin pour être au rendez-vous de cette ambition, et de vous donner, à vous, du temps, des moyens et de la visibilité. Pendant les six mois qui viennent, peut-être sept, pendant le court à moyen terme qui s'annonce, j'aimerais que nous nous posions ensemble les bonnes questions. Comment est-ce que l'on peut garantir que les projets scientifiques les plus novateurs soient financés au bon niveau ? Comment est-ce que l'on peut attirer vers les carrières scientifiques ? Comment rester compétitifs à l'échelle internationale ? Comment convertir les découvertes scientifiques en innovations qui sont des sources de progrès, de croissance et d'emplois ? Ces questions impliquent d'interroger nos habitudes pour essayer de décider le visage futur de ce que peut être la recherche. L'ambition qui doit être la nôtre, ça ne peut pas être simplement de combler les manques. Il faut poursuivre la transformation et la modernisation de notre système en pilotant finement les moyens humains et financiers pour rester à l'avant-garde de la recherche internationale. Je ne crois pas que nous puissions nous contenter du statu quo, et je compte sur vous d'abord pour faire des choix. Nous devons faire des choix et décider ce qui est le plus important. Ce sur quoi nous devons mobiliser nos moyens, ce qui justifie que nous transformions des habitudes pour véritablement consacrer notre intelligence, nos moyens et nos perspectives à ce qui est le plus important. Ces choix, il vous revient de les définir, de les formuler, de les éclairer. Les choix en faveur de l’excellence de la recherche, qui peuvent être des petits choix du quotidien, les choix ensuite de miser sur certaines problématiques scientifiques émergentes, pourquoi pas. Nous avons besoin que vous vous prononciez sur ce sujet. Je compte aussi sur vous pour nous aider à construire les nouveaux modèles de financement compétitifs, notamment avec l’Agence Nationale de la Recherche et en lien avec l’échelle européenne, pour mieux prendre en compte les frais de fonctionnement des structures de recherche, parce qu'il est contreproductif que vous consacriez autant de temps et d'énergie à chercher des financements. Comment est-ce qu'on peut faire pour inventer de nouveaux modèles ? Je compte sur vous pour analyser spécifiquement la question des plateformes technologiques. Elles sont un atout majeur de nos laboratoires mais on doit pouvoir mieux les mutualiser en coordonnant les investissements avec nos partenaires internationaux. Je compte sur vous pour accroître le transfert de connaissances et savoir-faire et des technologies vers nos entreprises, nos associations vers toute la société civile pour inventer de nouveaux modes de collaboration. On ne peut se contenter que 4% seulement de la recherche publique soit financée par le monde socio-économique. Nous avons d'immenses marges de progression en matière de simplification pour négocier les contrats. Je compte enfin sur vous pour contribuer à refonder notre politique de ressources humaines, pour la rendre plus attractive, pour la rendre plus souple. Nous devons réfléchir aux manières d'améliorer nos modes de recrutement en analysant les pratiques vertueuses qui existent ici ou ailleurs et dont nous devons nous inspirer. En réfléchissant sur les questions relatives aux rémunérations, expérimentons les parcours mixtes et innovants entre l'université, l'organisme de recherche entre le laboratoire et l'entreprise. Essayons de mieux connaître l'implication de chacun dans l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation. Veillons à donner toute leur place à l'ensemble des personnels et notamment à ceux qui œuvrent aux côtés des enseignants chercheurs et des chercheurs dans vos laboratoires. Enfin accordons une attention particulière au début de carrière. Ne coupons pas les ailes à nos jeunes talents.
Toutes ces questions, il faut les poser ensemble et il faut ensuite y répondre dans le temps. C'est l'objectif de cette loi de programmation. Je suis convaincu que vous serez force de proposition dans les débats qui s'annoncent. Soyez aussi force de dialogue et d'ouverture pour améliorer les synergies entre les organismes, les universités, les écoles en évitant les concurrences sur le terrain lorsqu'elles sont stériles pour avancer dans la préparation de cette loi de programmation. Trois groupes de travail qui seront composés de parlementaires, de scientifiques français et étrangers, de directeurs d'organismes de recherche publics, de présidents d'universités et d'acteurs industriels français ou étrangers seront mis en place pour mener et concevoir ces consultations. Sur la base des propositions qu'ils formeront et qui seront remises je l'espère au Gouvernement, à la fin du premier semestre. Si cela arrive au début du deuxième, ce n’est pas grave. On a beaucoup de choses à faire devant nous. Le sujet est suffisamment sérieux pour qu'il soit travaillé dans le détail. Mais sur la base de cette proposition, la ministre élaborera les grands axes d'une loi de programmation que je voudrais pouvoir rédiger d'ici la fin de l'année 2019 pour qu'elle puisse être soumise au Parlement dans le courant de l'année 2020. Je voudrais, Mesdames et Messieurs, pour conclure, vous dire que, je ne sais pas si les Français mesurent le potentiel scientifique exceptionnel des 33000 personnes que vous représentez mais j'en suis pour ma part parfaitement conscient.
Je ne suis pas loin de partager cette formule de Frédéric JOLIOT-CURIE de septembre 1944, quelques années après la création du CNRS, qui disait « Si une bombe tombait ici, en ce moment et nous détruisait, ce serait plus grave que si elle tombait sur un Gouvernement. On retrouverait immédiatement des membres pour ce Gouvernement. Mais on ne retrouverait pas immédiatement les hommes - et les femmes, voulait-il dire - capables de créer ». Évoqué sur un ton badin, la possibilité d'une bombe dans la période actuelle n'a évidemment aucun sens. Frédéric JOLIOT-CURIE l'évoquait en septembre 1944. Je me permets d'indiquer qu'il ne l'évoquait pas non plus d'un ton badin en septembre 44. Donc ne voyez aucune espèce de légèreté dans mon propos. Voyez y au contraire, comme pour Frédéric JOLIOT-CURIE, la reconnaissance, non pas du fait que la science ou les scientifiques seraient plus importants que la démocratie ou que les élus. Pas du tout. Mais vous êtes les produits d'un temps long. Autrement dit, la place que vous occupez, la responsabilité que vous avez est d'une nature très particulière.
Nous avons besoin de vous. La France a besoin de vous et l'humanité même d'une certaine façon a besoin de vous. Donc, je voudrais terminer très simplement en vous disant que vous devez continuer à faire ce que vous faites remarquablement bien. Vous devez réfléchir avec nous à la façon dont nous pouvons organiser les choses pour que vous puissiez le faire encore mieux. Vous devez je crois participer au débat public qui est engagé, pas simplement à un débat entre scientifiques ou à un débat entre scientifiques et élus. Vous devez prendre votre part dans la démocratie française. Pas simplement en tant que citoyen mais en tant que femmes et hommes qui ont quelque chose à dire du monde réel et du monde que nous voulons construire. C'est une magnifique responsabilité. Ce qui montre qu'à 80 ans, on peut être confronté à un futur riche et glorieux.

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