Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le 1er avril dernier, nous étions réunis pour débattre de la situation sanitaire de notre pays et des mesures de lutte contre l’épidémie que le Président de la République avait présentées la veille à nos concitoyens.
Ces mesures sont entrées en vigueur partout sur le territoire depuis une dizaine de jours. Elles viennent en complément de celles qui s’appliquaient déjà depuis plusieurs mois et visent à enrayer cette 3ème vague qui a frappé et qui frappe fortement notre pays, comme beaucoup de pays voisins, depuis plusieurs semaines.
C’est dans ce contexte très particulier que j’ai évoqué devant votre assemblée la question du calendrier des prochaines élections départementales et régionales, fixées les 13 et 20 juin prochain, et les questions soulevées par le Conseil scientifique dans le rapport qu’il nous avait remis quelques jours auparavant sur les conditions de leur organisation, sur le fondement de l’article 3 de la loi du 22 février 2021.
Je vous ai proposé à cette occasion une orientation, une méthode et un rendez-vous.
L’orientation, vous la connaissez, vous m’avez entendu l’exprimer à plusieurs reprises et notamment ici même le 1er avril dernier. Elle est constante et – si vous me permettez – très simple : le principe, l’a priori, c’est celui du maintien, car l’élection est un moment majeur de la démocratie et que, de surcroît, les élections dont nous parlons ont déjà dû être reportées. L’exception c’est que seules des considérations sanitaires peuvent nous conduire à déroger au principe ou en aménager les conditions de mise en oeuvre. Il n’est jamais anodin, ni politiquement, ni juridiquement, de décaler les dates d’un scrutin démocratique, même si l’expérience des municipales de 2020 nous rappellent que certaines circonstances sanitaires particulières peuvent parfois, malheureusement, nous y contraindre.
Cette orientation de maintien, que j’avais qualifiée devant vous d’hypothèse de base, nous entendions la privilégier sans pour autant dissimuler les difficultés que son application concrète pourrait soulever.
Ces difficultés tiennent évidemment aux contraintes que la situation sanitaire fera peser au cours des prochains mois sur notre vie collective. Elles tiennent plus précisément aux recommandations très précises que le Conseil scientifique a formulées qu’il s’agisse des conditions de déroulement de la campagne comme des opérations de vote, et, au-delà de la théorie, à notre capacité pratique à les mettre en application dans toutes les communes de France. Elles tiennent enfin à ce que ces élections cumuleront deux scrutins, organisés le même jour, ce qui requiert de constituer deux fois plus de bureaux de vote, et de mobiliser deux fois plus de présidents et d’assesseurs.
Ces difficultés sont réelles, nous ne devons ni les nier ni les sous-estimer. La question est de savoir si elles sont telles qu’elles rendraient impossible la tenue des scrutins.
Ai-je besoin de rappeler, en outre, que postérieurement à l’avis du conseil scientifique, nous avons été conduits à renforcer, pour une période de quatre semaines à compter du 4 avril, les mesures dites de freinage qui ne sont pas sans effet sur le sujet qui nous réunit aujourd’hui ?
Après l’orientation, la méthode. C’est évidemment celle de la consultation la plus large possible. J’ai ainsi saisi les présidents des Assemblées, les présidentes et présidents des groupes parlementaires, les responsables des partis politiques représentés au Parlement et les présidents d’associations d’élus locaux.
J’ai reçu en réponse 39 contributions, et je veux en remercier leurs auteurs. Une assez large majorité de ces contributions – 25 pour être précis - a exprimé une position favorable au maintien des dates prévues. 11 n’ont pas pris position tandis que 3 ont indiqué être favorables au report.
Certaines de ces contributions en sont restées à une position de principe – la plupart. D’autres ont souligné ce faisant les difficultés susceptibles de se poser, quelque unes s’accompagnant de propositions permettant d’y remédier.
L’importance du sujet et le caractère engageant des conditions fixées par le Conseil scientifique m’ont également convaincu de la nécessité de procéder à une consultation directe des maires des communes de France. Cette initiative a semblé en surprendre certains. Je trouve précisément surprenant que l’on puisse s’étonner d’une telle consultation, s’agissant d’un enjeu d’organisation qui pèsera fondamentalement sur les maires. Et je remercie publiquement ces derniers d’avoir parfaitement compris l’importance de l’enjeu, puisque 69 % d’entre eux ont répondu et ce dans des délais très courts. Courts, mais pas précipités : les maires, vous le savez, sont comme les députés, disponibles 24 heures sur 24 et je veux à nouveau saluer la mobilisation de tous les instants de ces soldats de la République.
Surtout, la décision du Gouvernement comme l’éclairage du Parlement vont se trouver considérablement enrichis par le nombre et la pluralité des réponses, des préconisations et des interrogations de celles et ceux dont c’est précisément la responsabilité d’assurer l’organisation matérielle des opérations de vote.
Il ne s’agit pas de transférer à quiconque la responsabilité de l’État. Les élus municipaux interviennent dans ce processus comme agents de l’État – je le sais d’autant plus que je l’ai fait moi-même pendant des années. Mais l’État ne serait pas loyal à l’endroit des maires si nous ne les associons pas à une décision qui aura un impact très fort sur eux, le moment venu. Et si nous ne les accompagnions pas au plus près dans l’organisation de ces scrutins.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre ici ou là, cette consultation n’était dirigée contre personne, et certainement pas contre les associations d’élus pour lesquelles j’ai le plus grand respect. Elle est au contraire venue compléter utilement leurs réponses, conférer une dimension très concrète et très opérationnelle aux questions de principe qui ont été à bon droit soulevées.
Que nous disent les maires ? 56 % d’entre eux se sont prononcées en faveur du maintien, 40 % pour le report et 4 % pour refuser de prendre position. Ce résultat montre à lui seul que le sujet est complexe – les attentes sont fortes, les craintes le sont aussi - et mérite l’attention approfondie que nous devons lui porter, comme nous avons le plus grand intérêt à tenir le plus grand compte des suggestions et propositions que les maires ont formulées à l’occasion de cette consultation.
Voilà pour la méthode. J’en viens enfin au rendez-vous que je vous avais proposé et qui nous réunit aujourd’hui sous la forme de ce débat, au titre de l’article 50-1 de la constitution, et du vote qui le conclura. Je vous le dis très simplement : ce débat ne mérite ni caricature injustifiée, ni simplification excessive. Il en va du reste de ce sujet comme de tous ceux qui touchent, de près ou de loin, à la gestion de la crise sanitaire. Il n’est donc pas digne de considérer que ceux qui ont osé émettre un avis favorable au report des élections seraient des antidémocrates mus par quelque calcul politicien ou préoccupation électoraliste. Non ! Le sujet dont nous débattons cet après-midi mérite des concertations approfondies, suppose que soient bien soupesés le pour et le contre, que soient le plus clairement anticipées les conséquences de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui avec son lot d’incertitudes, qui caractérise toute cette crise sanitaire que nous traversons depuis plus d’un an.
Certains nous disent « circulez – y’a rien à voir » ; tout est clair et tranché ! Eh bien si, il y a à voir. Que 40 % des maires de la république aient, en leur âme et conscience, recommandé le report nous oblige et nous interpelle. Nous devons collectivement tout mettre en oeuvre pour que les difficultés pressenties, les conditions requises à l’exercice d’une campagne électorale, certes adaptée, mais la plus accomplie possible ; à l’organisation des votes dans un cadre sanitaire le plus sécurisé possible ; que ces difficultés soient levées, que ces conditions soient remplies.
Notre enjeu est commun et partagé : tout faire pour que le taux de participation soit le plus élevé possible, pour que les électeurs, les candidats et les organisateurs des opérations de vote puissent s’exprimer et agir dans le cadre le plus incitatif et le plus sécurisé possible. Voilà l’enjeux, voilà les termes du débat.
Au terme des consultations conduites, et après l’avis du Conseil scientifique, je prends acte d’une forte orientation pour le maintien de ces élections en juin, ce qui rejoint la position de principe du Gouvernement. Le maintien, malgré les contraintes et les difficultés liées à la mise en oeuvre des mesures de protection qui s’imposent. Le maintien, dans des conditions que nous devons cependant aménager pour mieux concilier ces différents impératifs.
Comment ? Je distinguerai les conditions de déroulement de la campagne et les conditions d’organisation des opérations de vote.
La campagne électorale devra nécessairement être adaptée. Comme le rappelle le Conseil scientifique, c’est elle qui est de nature à entrainer une multiplication des occasions de contacts physiques, et donc d’accroître les risques sanitaires. Cette campagne sera donc différente, et la totalité des forces politiques consultées en convient. L’usage des outils de campagne dématérialisés sera donc encouragé au maximum :
- le ministère de l’Intérieur mettra en place comme pour les dernières municipales un site internet permettant aux électeurs de disposer de l’ensemble des professions de foi des candidats aux deux élections ;
- un débat télévisé, qui sera aussi diffusé à la radio, sera organisé entre les candidats des régionales avant chacun des deux tours des élections régionales.
Le Conseil scientifique, dans son avis, recommande l’interdiction des meetings physiques et des réunions publiques, à l’intérieur comme à l’extérieur. Dans la période de restrictions sanitaires que nous connaissons actuellement, cette règle me paraît justifiée. Je souhaite toutefois que nous puissions la réévaluer, dès que l’amélioration de la situation sanitaire nous permettra d’envisager la reprise progressive de certaines activités et l’ouverture de certains équipements recevant du public. Nous serons amenés à présenter dans les prochaines semaines nos scenarii sur la sortie des mesures de restriction en cours. Il me semble raisonnable d’espérer qu’elles se traduisent par plus de possibilités pour les candidats d’ici au 1er tour des élections.
Dès aujourd’hui, la liberté de déplacements des candidats et de leurs équipes de campagne constitue une vraie difficulté au regard des règles encadrant les déplacements au-delà des 10 kilomètres autour du domicile. Les règles seront précisées sans délai afin d’autoriser les déplacements des candidats dans le ressort de la circonscription électorale, ainsi que des militants qui les accompagnent dans leur campagne, sur la base d’une attestation du candidat ou, à défaut, de son mandataire financier.
Pour prendre en compte l’allongement de la campagne, nous allons, comme pour les municipales de juin 2020, augmenter la durée des prêts accordés par les personnes physiques.
D’autres questions très concrètes se posent sur la distribution des tracts dans les boites aux lettres, le collage des affiches, le porte-à-porte, qui appellent des réponses précises sur les conditions strictement encadrées dans lesquelles ces pratiques seront possibles. Le ministère de l’Intérieur publiera une circulaire sur ces sujets d’ici la fin de la semaine.
S’agissant du déroulement du scrutin lui-même, nous mettrons en oeuvre toutes les dispositions permettant d’assurer la sécurité sanitaire des personnes concourant aux opérations de vote et de tous les électeurs. Comme pour le second tour des municipales de juin dernier, un protocole sanitaire sera mis en place pour garantir le respect des gestes barrières et la sécurité sanitaire dans les bureaux de vote. Le recours au vote par procuration sera à nouveau facilité : la loi du 22 février 2021 offre à chaque électeur la possibilité de disposer de deux procurations et le dispositif « MaProcuration.gouv.fr », mis en place par le décret du 11 mars dernier, permet d’établir une procuration de façon presque totalement dématérialisée.
Le Conseil scientifique recommande la vaccination ou, à défaut, le dépistage de l’ensemble des membres des bureaux de vote. Cette préconisation, et de nombreux maires nous l’ont fait savoir, peut sembler difficile à mettre en oeuvre, notamment dans les communes de petites tailles où, bien souvent, les membres des bureaux de vote ne sont identifiés que quelques jours – voire quelques heures – avant le scrutin.
Rappelons d’abord qu’à la mi-juin, 30 millions, soit une large partie de nos concitoyens, auront pu bénéficier d’au moins une première injection. Certes, tous n’auront pas eu leur rappel, tous n’auront pas forcément été vaccinés depuis 10 jours – délai indiqué pour que le vaccin soit protecteur – mais cela signifie que plus de la moitié des personnes de plus de 18 ans sera protégée. Pour ceux qui n’auraient pu encore bénéficier de la vaccination, le Gouvernement mettra en place un dispositif particulier : trois semaines avant le premier tour, les communes seront invitées à faire connaître la liste des personnes non vaccinées membres des bureaux de vote et fonctionnaires mobilisés le jour du scrutin afin qu’une vaccination puisse leur être proposée.
Le Conseil scientifique prévoit par ailleurs qu’à défaut de vaccin, les membres des bureaux de vote devront réaliser un test. Il pourra s’agir d’un test PCR ou d’un test antigénique réalisé dans les 48 heures précédentes. Il pourra s’agir d’un autotest réalisé juste avant, et l’État dotera à cette fin les communes de lots d’autotests leur permettant de tester, le jour du scrutin, tous les participants aux opérations de vote qui n’auraient pas eu d’autres solutions.
Afin de limiter les concentrations de flux d’électeurs, et comme de nombreuses forces politiques l’ont proposé, les préfets seront invités à étendre les horaires des bureaux de vote, de 8h à 20h, dans toutes les communes où, après échange avec les maires, cela semblera pertinent.
Dans les communes, qui sont nombreuses, où les deux bureaux de vote relatif à chaque scrutin sont installés au sein d’une même salle, des mesures seront prises pour préciser les textes relatifs à la mutualisation des équipements et de certaines fonctions des membres du bureau de votes.
Afin de limiter le nombre de personnes mobilisées par les opérations de dépouillement, celles-ci pourront se faire soit simultanément mais dans deux salles distinctes ou une salle suffisamment grande pour permettre de le faire dans de bonnes conditions de sécurité sanitaire. Les dépouillements pourront aussi se faire l’un après l’autre, dans une même salle, avec les mêmes personnes.
Nous autoriserons d’ailleurs les membres du bureau de vote et les assesseurs, à participer au dépouillement si cela s’avérait nécessaire. De même, nous examinerons la possibilité d’autoriser que ces opérations puissent se faire à l’extérieur sous certaines conditions, par exemple dans la cour de l’école.
Dans les préoccupations qui se sont exprimées, beaucoup émanaient de maires de communes de taille modeste, et on les comprend parfaitement. C’est pourquoi les préfets et les sous-préfets seront chargés de les accompagner dans la préparation et l’organisation des scrutins et cet accompagnement débutera très prochainement.
Les mesures d’allègement des conditions d’organisation du scrutin qui relèvent de dispositions législatives seront intégrées à un projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire qui sera présenté dans les toutes prochaines semaines par le Gouvernement, et vous aurez donc l’occasion d’en débattre et de vous prononcer.
Mesdames et Messieurs les députés, vous l’avez compris, ma conviction est que nous saurons organiser ces élections dans des conditions maîtrisées sur le plan sanitaire, conformes aux exigences démocratiques et favorables, en tous cas je l’espère vivement, à une bonne participation de nos concitoyens. Il faudra pour cela être en mesure de répondre à de nombreuses conditions, adopter de nouvelles dispositions juridiques, déployer de nouveaux moyens d’information, accompagner les mairies dans l’organisation matérielle du scrutin, et enfin, et c’est évidemment le plus important, compter sur le bon avancement de la campagne de vaccination.
Les semaines qui nous séparent du scrutin ne seront pas de trop. Pour nous donner le temps utile, nous allons décaler d’une semaine supplémentaire les dates des élections. Un décret en conseil des ministres interviendra dès la semaine prochaine pour fixer les élections aux 20 et 27 juin au lieu des 13 et 20 juin. Certes, ce n’est qu’une semaine, mais une semaine de campagne supplémentaire, une semaine de vaccination en plus, soit au moins 2 millions de personnes vaccinées. Une semaine de préparation en plus, cela compte !
Mesdames et Messieurs les députés, voici donc le cadre général que je soumets à votre approbation. Sa déclinaison opérationnelle va supposer des actes juridiques et matériels nombreux et importants, à adopter dans des délais très rapprochés. C’est un défi !
A cet effet, je vous propose de constituer un comité de suivi permanent, présidé par Jean-Denis COMBREXELLE, ancien président de la section du contentieux du Conseil d’État, et animé par le ministre de l’intérieur, associant les représentants des partis politiques représentés au Parlement et les associations d’élus, qui examinera toutes les questions juridiques et organisationnelles de la campagne et du scrutin.
Par ailleurs, un préfet sera désigné pour piloter les sujets à caractère logistique, en vue de venir en soutien des maires dans l’organisation du scrutin, dès lors bien entendu qu’ils en solliciteraient l’intervention, y compris au regard des enjeux liés au dépistage et à la vaccination. Le ministre de l’intérieur, dont je veux saluer l’implication à mes côtés, sera bien entendu chargé au nom du Gouvernement de mettre en oeuvre l’ensemble des orientations que je viens de vous exposer.
Rendre possible la tenue de ces élections, en assurer le bon déroulement, garantir la sécurité sanitaire de toutes celles et tous ceux qui y participeront, favoriser la participation la plus large possible de nos concitoyens, tout cela relève d’une même exigence démocratique.
L’abstention, traditionnellement plus élevée s’agissant des scrutins de cette nature, a des causes multiples mais il est de notre devoir de tout faire pour la réduire malgré les circonstances particulières du moment. Nous lancerons donc une grande campagne de sensibilisation au vote ainsi qu’une campagne d’information sur les compétences des conseils régionaux et départementaux.
Vous l’avez compris, le Gouvernement entend, sur ce sujet comme sur les autres, prendre et assumer ses responsabilités. Chacune et chacun doit faire de même, dans la transparence et le débat.
Tel est le sens des orientations et des décisions que je vous ai présentées. Tel est l’objet du débat qui nous réunit aujourd’hui. Telle sera la portée du vote que je vous invite à exprimer sur ces propositions.
Je vous remercie.